Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opposait avec énergie. Le jour où les soldats devaient venir s’en emparer, les fidèles remplirent l’église, décidés à l’occuper le jour et la nuit, et à n’en sortir que quand elle ne serait plus menacée. Pour les empêcher de perdre patience pendant ces longues heures d’attente et d’anxiété, l’évêque eut l’idée de composer des hymnes et de les leur faire chanter. C’était un usage déjà ancien dans les églises d’Orient, que saint Hilaire de Poitiers avait essayé, sans beaucoup de succès, à ce qu’il semble, d’introduire en Gaule. Cette fois l’innovation réussit pleinement et se répandit dans le monde romain tout entier.

Nous possédons quelques hymnes authentiques de saint Ambroise[1] ; elles sont très curieuses à étudier de près. Toutes se composent du même nombre de vers, écrits dans le même rythme et disposés de la même façon. L’auteur s’est condamné sans doute à cette simplicité et à cette monotonie pour qu’il fût plus facile de les comprendre et de les retenir. Mais cette concession est la seule qu’il ait faite au peuple pour lequel il travaillait. Il est remarquable que, dans des hymnes destinées à la multitude ignorante, ce lettré, ce grand seigneur n’ait admis aucune incorrection de langue ou de mètre. La quantité, qu’on ne se faisait alors aucun scrupule de violer, y est respectée. Ces petits vers de quatre pieds sont construits d’après les règles du genre : la césure s’y trouve à sa place ; l’iambe revient régulièrement aux pieds pairs, comme le veut Horace dans son Art poétique ; l’œuvre, par sa forme au moins, est classique. Naturellement le fond ne peut pas avoir le même caractère ; il se compose uniformément dépensées morales, de souvenirs des Livres saints interprétés à la manière du temps et d’affirmations dogmatiques. Voici quelques passages de l’hymne du matin, qui donnera une idée du reste :

« L’oiseau vigilant annonce le jour ; c’est lui qui veille dans la nuit profonde. Il est la lumière du voyageur au milieu des ténèbres et sépare la nuit d’avec la nuit. Il réveille l’étoile du matin, qui chasse l’obscurité du ciel. A sa voix, les troupes errantes abandonnent les chemins où elles tendent leurs pièges ; le matelot rassemble ses forces, les flots de la mer se calment. En l’entendant chanter, Pierre reconnaît sa faute. Levons-nous donc avec courage : le chant du coq ranime nos sens assoupis, il excite notre paresse, il reproche aux coupables leur infidélité. Au chant du coq, l’espoir renaît ; les malades se remettent à croire à leur guérison, le glaive

  1. Le nombre des hymnes attribuées à saint Ambroise est assez considérable, mais il n’y en a guère que quelques-unes dont l’authenticité soit certaine : ce sont surtout celles dont saint Augustin a fait mention.