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tout à fait, il est de leur famille. Il leur appartient de plus près que beaucoup de ceux qui passent pour leurs disciples et qui n’arrivent, en les imitant avec exactitude, qu’à reproduire leurs défauts et affadir leurs qualités. Il est rare que ces grands écrivains aient une postérité directe. L’héritage, après leur mort, passe d’ordinaire à des auteurs qui osent entrer dans des voies nouvelles, et c’est en s’éloignant d’eux qu’on les continue. Je ne prétends pas sans doute que Prudence soit irréprochable : il ne parle pas toujours une langue pure, et il a commis souvent des erreurs de goût. Il n’en est pas moins vrai que c’est un poète fort distingué, et, au-dessous des plus grands, tout à fait digne de tenir une des premières places : je n’aurai guère qu’à résumer le livre de M. Puech pour le faire voir.

Je demande seulement qu’on me permette de donner d’assez nombreuses citations de ses ouvrages. Quand on parle d’Homère et de Virgile, il suffit de faire allusion à leurs vers pour qu’aussitôt ils s’éveillent dans la mémoire. Prudence n’a pas cet avantage. C’est à peine si quelques érudits ont parcouru ses œuvres ; aux autres il faut les faire connaître pour qu’il leur soit possible de les juger.


I

Nous ne savons de la vie de Prudence que ce qu’il a bien voulu nous en dire. En tête de ses poésies il a placé un prologue mélancolique, où il se représente vieux et triste, songeant à la fin qui s’approche, et se demandant ce qu’il a fait d’utile dans les cinquante-sept années que Dieu lui a donné de vivre. De ce rapide examen de conscience et de quelques renseignemens épars dans ses ouvrages, voici ce que nous apprenons.

Il était né en 348, pendant le règne de Constance, le fils et l’héritier de Constantin, dans une ville du nord de l’Espagne, à Saragosse, à Calahorra ou à Tarragone. Comme il ne parle nulle part de sa conversion, on pense qu’il appartenait à une famille chrétienne. Ses parens devaient être riches, puisqu’il reçut l’éducation qu’on donnait aux fils de bonne maison. « Mon enfance, dit-il, a pleuré sous la férule sonore de mes maîtres ; » ce qui n’est pas une métaphore, car on sait que les grammairiens de cette époque avaient coutume de frapper vigoureusement leurs élèves, et Ausone nous dépeint l’école retentissant des coups de fouet. Prudence nous raconte ensuite que, quand son éducation fut achevée, il revêtit la toge et prit l’habitude « de débiter beaucoup de mensonges. » Il