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l’avidité de la noblesse, et constamment à la direction de l’inspecteur que la faveur a mis en place, malgré la plus grande incapacité de diriger et d’instruire : nulle étude de la nature, nul égard aux diverses nuances, nulle considération dans les appareillemens, nulle suite dans les opérations, nulle attention aux résultats d’un million de mélanges perpétuellement informes et bizarres… Il s’agirait donc, de notre part, d’être plus éclairés et plus soigneux que nous ne l’avons été jusqu’ici. »

Vingt ans après, en 1789, de Lafond-Poulotti[1] est encore plus sévère : « Dans le nombre des administrateurs qui ont eu les haras depuis Colbert, quelques-uns, sans connaissances relatives de cette partie, s’en sont rapportés aveuglément à des inspecteurs plus ignorans encore, placés et protégés par eux… »

À cette époque, les régimens de cavalerie achetaient directement leurs chevaux, et, afin d’avoir une remonte homogène composée d’animaux de même pied, les tiraient de la même province. Chaque régiment entretenait une sorte de dépôt d’élevage : les gardes du corps, les gendarmes, les chevau-légers en Normandie[2] ; les dragons de Bourbon, Condé, Lassan, Royal-Navarre, chasseurs de Lorraine, Hainault, Esterhazy, en Limousin[3] ; certains régimens de hussards, en Béarn et en Navarre, etc.[4]. En résumé, malgré l’absence de direction et le défaut d’ensemble, la situation de l’élevage français était assez prospère, quand survint la révolution. Un décret du 29 janvier 1790 supprima les haras ; les étalons furent vendus et la réquisition de tous les animaux pour les besoins de l’armée, au cours des années suivantes, amena la dispersion de toutes les ressources ménagées depuis près d’un siècle.

En 1806, l’empereur Napoléon sentit, comme Louis XIV, l’importance de faire naître en France les chevaux nécessaires aux besoins de l’armée. Il rétablit les haras, dont la direction fut confiée au ministre de l’intérieur. Mais l’industrie de l’élevage était aux abois, nos anciennes races étaient tombées dans un état d’avilissement profond. En Normandie, la population chevaline était devenue no blood ; la nécessité s’imposait d’introduire un sang nouveau. Malheureusement l’état d’hostilité contre l’Angleterre empêcha l’empereur de permettre l’introduction du pur sang. On acheta des étalons égyptiens, turcs et mecklembourgeois, et le résultat fut à peu près nul, d’autant que l’effroyable consommation des chevaux aux armées faisait acheter tous les animaux, bons ou mauvais.

  1. De la régénération des haras, p. 29.
  2. Comte Gabriel de Honneval, les Haras français.
  3. Marquis de Saincthorent, les Chevaux du Limousin.
  4. De Charnacé, les Races chevalines de la France.