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Que nous soyons en progrès depuis cette époque, nous n’en doutons pas : mais si nous savons ce qu’il nous en a coûté de ne pas être prêts en 1870, nous pouvons aujourd’hui déterminer la proportion des divers élémens dont nous avons besoin pour l’être. Or, l’effectif des chevaux qui nous seraient nécessaires pour notre mobilisation dépasse 400,000. L’armée allemande a mis sur pied, en 1870, 386,668 chevaux : or, elle a été augmentée depuis, d’abord après la guerre, pour cause d’accroissement de territoire et par suite des conventions militaires imposées aux états du Sud, enfin à chaque renouvellement du septennat militaire[1]. D’où l’obligation pour nous de chercher à égaler tout au moins l’un de nos adversaires éventuels. Mais la situation politique de l’Europe actuelle nous astreint à une autre : celle de ne compter que sur nous et sur les ressources existant sur notre propre territoire. En 1870, nous étions maîtres de la mer. Pourrions-nous y prétendre encore ? La question se pose tout au moins.

En émettant l’hypothèse du blocus de nos côtes, nous ne faisons que rappeler un souvenir historique. Pendant les guerres de la révolution, le cas s’est déjà présenté. La France a surmonté cette épreuve, mais au prix de quels sacrifices ? Un rapport (sur l’organisation des haras) fait au conseil des Cinq-Cents par Eschassériaux, le 28 fructidor an VI, va nous le dire : « Cernés de toutes parts par les puissances coalisées, il nous fallut alors trouver nos approvisionnemens en ce genre sur notre propre sol. Les réquisitions s’établirent, et bientôt l’espoir de maintenir les faibles moyens qui nous restaient encore pour obtenir quelques belles productions disparut presque entièrement avec l’immense quantité de chevaux et de jumens susceptibles de les donner… »

Si nous comparons notre population chevaline à celle de l’Allemagne, nous trouvons de part et d’autre un effectif à peu près égal[2] comme nombre ; mais fort différent comme qualité, car le caractère général de la seconde est, actuellement, l’aptitude spéciale à la selle et à l’attelage léger. On ne saurait attribuer à la nôtre les mêmes signes distinctifs, et si nous avons bon espoir d’assurer largement le service des trains, des convois administratifs et des charrois

  1. L’effectif de l’armée allemande, sur le pied de paix, était de 378,000 hommes en 1870 ; la loi du 11 mars 1887 l’a fixé à 168,409 hommes de troupe, non compris les volontaires d’un an, à partir du 1er avril 1887 jusqu’au 31 mars 1894 ; de plus, la loi du 11 février 1888 a augmenté le nombre des classes disponibles pour la mobilisation, en reculant jusqu’à quarante-cinq ans la durée légale du service.
  2. Le dernier recensement (10 janvier 1883) accuse, pour l’empire allemand, un total de 3,522,316 chevaux ; les statistiques du ministère de l’agriculture évaluent à 2,837,932 In nombre des chevaux employée, en France, aux travaux agricoles seulement.