Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de pauvres. Par la société, j’entends toujours, non pas l’organisme coercitif qui s’appelle l’état et quêtant d’esprits superficiels ont le tort de confondre avec elle, mais ce milieu social, si varié, si élastique, se prêtant aux concours librement associés des hommes aussi bien qu’aux simples efforts individuels. On trouve partout, mais spécialement dans les villes, de ces familles dégradées, qui ont perdu tout ressort moral, qui se complaisent dans la fainéantise et la mendicité, et qui élèvent leurs enfans dans le goût et l’habitude de cette vie somnolente, dépendante, étouffant en eux tout germe d’énergie et d’aspiration à une vie meilleure. La loi peut ici intervenir par des prescriptions générales pour empêcher l’exploitation des enfans et pour substituer aux parens manifestement indignes des protecteurs recommandables. C’est ici que l’instruction obligatoire pourrait avoir quelque heureuse influence ; mais les politiciens modernes, dont certains ne conçoivent la philanthropie que comme un thème à déclamation, ne se sont jamais avisés en France, ni dans beaucoup d’autres pays, que l’instruction obligatoire devrait surtout être appliquée à tous ces malheureux enfans de huit à treize ou quatorze ans, accompagnateurs de prétendus culs-de-jatte ou de prétendus aveugles ; ils ne se sont servis de cette loi que pour molester quelques parens dont les opinions n’étaient pas les leurs et qui donnaient à leurs enfans une instruction autre que celle des écoles publiques. Un vaste champ est ici ouvert à l’initiative privée : les œuvres pour l’enfance abandonnée ou coupable sont devenues nombreuses. Il ne faut certes pas leur attribuer une vertu souveraine ; mais si le paupérisme peut être diminué, c’est par une action bienfaisante et intelligente exercée sur les enfans des misérables. Avec son uniformité et sa rigueur, ses fonctionnaires nommés par des considérations politiques, l’action publique se trouve, pour une entreprise si délicate, dans des conditions fort inférieures à celles de la plupart des œuvres indépendantes.

De toutes les catégories de pauvres, chacun avouera que la quatrième, celle qui doit la pauvreté à ses propres vices, est de beaucoup la moins intéressante. L’assistance publique a plus de chances de l’accroître que de la réduire. Les vices humains peuvent se transformer, se modifier dans leurs manifestations ; peut-être certains peuvent-ils perdre de leur prise sur quelques catégories d’hommes : on ne voit plus guère les classes élevées ou moyennes s’adonner à l’ivrognerie ; on peut rêver qu’à la longue, avec un certain régime, ce vice fera moins de victimes dans la classe ouvrière. On peut se flatter également que l’instruction et l’exemple développeront le sentiment de la prévoyance. Ce sont là des espérances permises, quoique sujettes à bien des déceptions. Mais il est d’autres