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dont émigrent, pour leurs classes, tous les jeunes gens de familles aisées, et où il ne reste plus que les enfans de la petite bourgeoisie et des familles ouvrières : on a inventé l’enseignement secondaire spécial, dépourvu de grec et de latin, fortifié de plus de français, de plus de sciences et de langues vivantes. Mais l’état ne sait pas insuffler la vie à ses créations. Des milliers d’enfans continuent ainsi à recevoir, dans des établissemens d’une lamentable indigence intellectuelle, une sorte de parodie de l’instruction secondaire ; les produits de ces petits collèges sont par rapport aux grands ce qu’est l’argenterie ruolz par rapport à l’argenterie véritable, ayant de métal précieux une couche superficielle d’une extrême ténuité qui ne tient pas au fond et qui, au moindre usage, disparait et met à nu la matière brute dans sa grossièreté primitive.

Outre cette uniformité absolue, malgré l’inégalité des moyens dont il dispose, l’enseignement d’état offre un autre défaut, c’est l’alternance entre la routine prolongée des méthodes et leur soudain et radical changement. L’état moderne, en proie à la lutte d’opinions ardentes, ne connaît ni le juste milieu ni les transitions adoucies. Il restera pendant un quart de siècle sans rien modifier à ses programmes ; puis, tout à coup, pris d’un beau zèle, il fauchera en quelque sorte tous les exercices en usage, et il leur en substituera violemment de nouveaux ; comme un malade qui va d’une prostration complète à une agitation fiévreuse, l’ère des changemens constans succédera à celle de la stagnation. Tous les ans ou toutes les deux années, on modifiera, soit l’ordre des diverses connaissances enseignées, soit les proportions de l’instruction orale ou des travaux écrits, soit les livres et les manuels, déclarant détestable tout ce qui se faisait la veille, sans se douter que l’avenir portera peut-être le même jugement sur ce qui se fait aujourd’hui. L’enseignement privé, quand on lui laisse le champ absolument libre, qu’on permet aux associations, quel que soit l’esprit qui les anime, de se former et de vivre, a de tout autres procédés. Il offre à la fois des échantillons divers, qui se corrigent les uns les autres, qui se partagent les faveurs du public : on aura l’enseignement positif de l’école Monge ou de l’École Alsacienne, mais aussi celui des anciennes méthodes des jésuites ; peu à peu il en naîtrait de mixtes qui emprunteraient à l’un et à l’autre types. On aurait aussi des écoles techniques comme celles de la Martinière, à Lyon, et bien d’autres encore. Mais, quand tant d’établissemens existent, soutenus par l’état, pourquoi les particuliers feraient-ils tant d’efforts et de sacrifices pour doter des institutions scolaires ? L’état envahissant ressemble à un grand chêne dont les puissantes racines et les ombrageux rameaux ne permettent à aucune plante de vivre au-dessous ou à côté de lui ; mais si un jour arrive où le chêne vieilli,