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nombres, ou de toute autre connaissance réputée abstruse. Certains pourront même aller plus loin et créer des universités de toutes pièces. Les Américains le font chez eux ; on regarde presque comme anormal aux États-Unis qu’un homme, jouissant d’une grande fortune, meure sans avoir fait quelque donation d’intérêt général. Quelque marchand de porcs ou quelque découvreur de sources de pétrole, ou quelque heureux aventurier nanti d’un bon filon d’or ou d’argent, relève et rachète la vulgarité de sa richesse par la création d’un collège pour des sciences qu’il n’a jamais apprises et dont souvent il ignore même le nom. Laissez faire, par les voies légitimes, des fortunes considérables, laissez passer, sans entrave et sans formalité, les inventions, les découvertes, les efforts individuels : la société moderne, comme autrefois l’église, recevra, par des fondations intelligentes, le prix de la reconnaissance des plus heureux de ses enfans, quelquefois aussi le rachat de leurs fautes ou de leurs fraudes.

L’instruction moyenne, dénommée instruction secondaire, que l’état, pendant si longtemps, a accaparée en France avec une si jalouse obstination, mériterait bien des réflexions, des critiques, si les cadres de cette étude se prêtaient à des développemens. Qu’il suffise ici de quelques remarques sur les méthodes, sur les établissemens, sur les secours et les bourses. On sait que la règle de toutes les institutions d’état, c’est l’uniformité. L’état est essentiellement un organisme bureaucratique qui répugne, dans son action, à la variété et à la souplesse. Tous les efforts pour lui donner ces qualités ont partout échoué. Les établissemens d’état, pour l’instruction moyenne, offrent donc, sur tous les points du territoire, dans les petites villes comme dans les plus grandes, exactement le même type et le même régime. Les maîtres enseignent les mêmes choses, seulement les maîtres sont, dans les petits endroits, d’une qualité inférieure. Les collèges communaux, quoique formant des institutions à caractère mixte, que se divisent, pour la direction ou la surveillance, les municipalités et l’état central, ont des cadres nominalement aussi complets que ceux des premiers lycées du pays. Mais un même maître fait deux ou trois de ces classes, et parfois même, quoique ayant deux ou trois élèves, l’une d’elles manque de maître titulaire. Il faut avoir assisté à cette misère pédagogique, à ce délabrement des humanités dans les petites sous-préfectures, pour comprendre l’étendue du mal qui en résulte. De malheureux adolescens sont retenus dans un demi-jour d’instruction, où des ombres confuses passent devant leurs yeux, ne laissant aucune trace précise dans leur esprit. On a bien essayé de créer officiellement un enseignement plus approprié à ces localités de moyenne importance,