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la liberté de l’enseignement supérieur. Il s’est créé chez nous des universités libres, ayant un caractère confessionnel il est vrai ; certaine a recueilli des dotations d’origine privée montant à 14 ou 15 millions de francs. Il serait exagéré de prétendre que l’initiative particulière est impuissante pour le haut enseignement, quand elle n’est pas poussée par le sentiment religieux. Nous ne sommes qu’au début d’une période de liberté ; encore celle-ci est-elle précaire, toujours menacée par les jacobins ou par les centralisateurs ; néanmoins déjà, des organes remarquables se sont spontanément constitués : nous n’en voulons pour preuve que l’École libre des sciences politiques avec ses trois cents élèves, dont un bon tiers vient de toutes les contrées étrangères ; c’est probablement l’établissement scolaire de France qui contient relativement le plus d’étrangers ; son nom brille et attire vers nous d’au-delà des frontières. Cette institution, à ses origines, a eu un mérite que d’autres fondations privées pourront reproduire : celui de confier ses chaires à de jeunes hommes presque inconnus, dénués de grades universitaires, que l’enseignement officiel n’aurait sans doute jamais formés, et qui, au bout de quelques années, se gagnèrent une réputation très étendue. L’observatoire Bischoffsheim, les écoles supérieures de commerce, beaucoup d’autres fondations plus ou moins analogues, prouvent que l’argent privé ne manque pas aux choses reconnues utiles. Notre Institut plie sous le faix des dons nombreux que lui font chaque année des émules de Monthyon. On finira par se convaincre qu’il y a un meilleur usage à faire de milliers de francs ou de centaines de mille francs que de les employer à multiplier indéfiniment les prix de vertu ou à susciter et couronner des quantités de livres souvent médiocres. Mieux inspirés, les hommes bienfaisans emploieront leurs générosités à créer quelque chaire, à former un fonds pour quelque bibliothèque ou pour quelque musée, à constituer des ressources pour des voyages d’exploration ou de découverte. L’opinion généralement répandue que l’initiative privée ne peut pourvoir aux œuvres d’instruction qui ne sont pas rémunératrices a ses origines dans un temps tout différent du nôtre. On ne tient pas compte du développement de la richesse, de la multiplication des grandes fortunes laissant un large superflu, de ce genre de sport dont j’ai parlé, qui consiste à attacher son nom à une œuvre originale et utile. Il s’est bien rencontré un groupe d’hommes pour fournir à M. Maspero les frais nécessaires à la continuation de ses fouilles égyptiennes ; l’institut Pasteur a bien trouvé, par des souscriptions particulières, 2 millions 1/2 de francs, quoique la ville de Paris, ce dont nous nous félicitons, ait refusé de céder même le terrain ; l’inspiration pourra venir aussi bien à quelque millionnaire de fonder une chaire de sanscrit ou de science des