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de toutes pièces, soit en détruire une, soit substituer aux idées positives enfermées dans des dogmes, aux sentimens intimes et traditionnels, un simple ensemble de sèches et abstraites négations. L’état doit donc respecter cette force, qu’il ne réussirait pas, le voulût-il, à entamer. Il est d’autant plus tenu à ce respect, à ces bons rapports, que la religion, en dehors de son objet principal de soulagement des âmes, concourt à un objet, pour elle accessoire, mais, pour l’état, d’une importance capitale, la conservation sociale. Il n’y a plus actuellement d’homme assez irréfléchi, parmi ceux dont l’opinion a quelque autorité, pour croire que l’homme naisse originellement bon, que ses heureux instincts s’épanouissent naturellement, quand on ne cultive pas artificiellement les mauvais. La doctrine de Jean-Jacques Rousseau et des philosophes du XVIIIe siècle sur la bonté native de l’homme a été tellement battue en brèche et détruite par l’expérience, qu’on peut la considérer comme une des plus manifestes inepties qui aient un moment abusé le genre humain. La tâche de l’état moderne, au point de vue du maintien de la paix sociale, de la simple conservation de la société, est devenue de1 plus en plus ardue : il n’a pas trop de tous les concours. L’état est assailli par tant de passions, par tant de haines, tant d’impatiences, tant d’illusions, la morale publique et privée souffre de tant d’attaques de théories désespérantes et dégradantes, qu’on ne comprend pas par quelle folie l’état moderne, si menacé, si ébranlé, va déclarer la guerre à la puissance moralisatrice qui a conservé le plus d’empire sur les âmes. On a écrit que la barbarie frémit au sein de nos sociétés civilisées, et certains publicistes ont cru pouvoir indiquer l’heure où elle viendrait à triompher. Sans aller jusqu’à ces alarmes, peut-être excessives, la religion chrétienne, qui, quelque opinion qu’on ait de ses dogmes, prêche la modération dans les désirs, la lutte contre la concupiscence, l’assistance du prochain, l’espérance indéfinie au milieu des épreuves et des souffrances, qui cherche à réconcilier l’homme avec la dureté de son sort, peut être considérée comme une sorte de ciment social qu’il sera singulièrement malaisé de remplacer. N’eût-elle d’influence que sur les femmes, qu’elle rendrait encore à l’état de précieux services ; car les femmes dans la vie civile, dans l’éducation, par les premières notions qu’elles donnent à l’enfant, par l’influence qu’elles conservent dans tous les actes du ménage, contribuent, pour une bonne part, à la direction réelle d’une société. On pourrait faire un parallèle, frappant par les contrastes, entre le simple curé ou le pasteur de village et l’instituteur public tel qu’on cherche à le former depuis dix ans : l’un devant sa culture d’esprit et de cœur aux deux grandes sources qui ont fécondé la civilisation occidentale, la source chrétienne et la source