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générale, la plus agissante que connaisse la société ? L’état a des écoles : aussitôt s’offre la question délicate des textes, des livres de classes, certains mots qu’on rencontre, qui forment le fonds traditionnel de la langue et qu’il faut expliquer, à moins que, par le procédé ridicule qu’a adopté le conseil municipal parisien, on ne proscrive ces mots, on ne mutile les auteurs les plus célèbres, on ne s’interdise non-seulement de prier, mais même de jurer. La pudeur de nos pères mettait des feuilles de vigne aux statues trop peu voilées ; l’étrange pudeur de certains de nos corps enseignans va couvrant de vocables ineptes et dénués de sens les mots de Dieu, d’âme, de vie future.

Non-seulement l’état a des écoles, mais il a pris la charge de l’éducation complète de catégories nombreuses d’individus : il élève des orphelins, des enfans assistés, des aveugles, des sourds-muets, de jeunes prisonniers ; ceux-là, en grande partie, sont soustraits à toute autorité paternelle ; c’est l’état qui est leur père ; quelle croyance leur apprendra-t-il, car il ne peut renoncer à leur en apprendre une ? il faudra, ou qu’il les élève dans le sein d’une religion, ou qu’il les élève contre toutes les religions. De même pour l’armée, pour la marine, pour le personnel employé aux travaux publics, pour les jours de repos fériés, pour toutes les observances ayant une origine religieuse, répondant aux pratiques religieuses du plus grand nombre, l’état contemporain ne peut ignorer toutes ces choses. Il faut ou qu’il les admette et les respecte, ou qu’il les nie et les détruise. Fera-t-il comme le conseil municipal de Paris, qui, pour varier la nourriture dans certains de ses établissemens, y impose un jour de maigre, mais en stipulant que ce jour ne sera jamais le vendredi ? Dans le mouvement qui porte les employés, les ouvriers, à exiger le repos hebdomadaire, à vouloir même qu’il soit obligatoire, l’état viendra-t-il à délaisser le dimanche et à choisir le lundi ? Ainsi l’état contemporain (nous ignorons ce qui sera loisible à l’état du XXVe ou du XXXe siècle), rencontrant, dans son activité propre, à chaque instant, les prescriptions ou les observances religieuses, ne peut simplement répondre : Nescio vos ; il doit ou les respecter ou les combattre.

La ligne de conduite à tenir par l’état moderne est toute tracée. Nous avons dit que l’état manque au plus haut degré de la faculté d’invention. Ce n’est certes pas lui qui fait les religions, qui les conserve ou qui les détruit. A certains momens, il a pu constater officiellement, comme sous Constantin, le triomphe d’une religion, vieille déjà de plusieurs siècles. A d’autres heures de l’histoire, lors de la réforme, il a pu aider à certaines modifications, d’ailleurs de détail, que favorisaient le tempérament des peuples et le courant populaire. Mais nulle part on n’a vu un état, soit créer une religion