Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait le premier à expier les mécomptes que sa politique aurait d’ici là infligés à l’opinion.

L’Italie, pour sa part, n’est pas encore au bout de ses discussions parlementaires. Les chambres italiennes n’en auront même pas fini, à ce qu’il semble, avant quelques jours, et cette session prolongée, parfois agitée, ne laisse point d’être curieuse, ne fût-ce que comme symptôme de la position du ministère, de la confusion des partis dans le parlement, de l’état des esprits au-delà des Alpes. Ce n’est pas que le président du conseil, M. Crispi, soit menacé dans son pouvoir. La division et la faiblesse des partis ont fait jusqu’ici sa force, depuis qu’il s’est établi en ministre universel et omnipotent à la tête des affaires. Ce qu’il demande, il finit par l’obtenir. Ce n’est pas toujours cependant sans contestation, sans qu’il se produise des incidens tumultueux dans les chambres et sans qu’il y ait même des velléités croissantes d’opposition. Le ministère a récemment demandé au parlement des crédits d’une certaine importance, près de 150 millions, pour de nouveaux armemens, pour l’adaptation de ses chemins de fer à des nécessités stratégiques, bref pour une foule de choses destinées à accroître ses moyens militaires. Les raisons sont toutes trouvées : l’Italie est obligée de suivre le mouvement universel en Europe ! Il faut qu’elle soit toujours prête comme les autres, armée sur terre et sur mer pour sauvegarder son prestige et sa position de grande puissance, pour avoir même au besoin sa politique coloniale ! Il faut qu’elle soit en mesure de remplir ses engagemens et de jouer son rôle dans la triple alliance ! C’est fort bien. On a fait appel au patriotisme, les crédits ont été accordés, M. Crispi n’a eu qu’à se montrer au dernier moment pour enlever le vote, même avec un ordre du jour de confiance ; mais voici justement ce qu’il y a de caractéristique. C’est un fait assez sensible que, s’il y a eu un vote de nécessité ou de circonstance, il se manifeste d’un autre côté au-delà des Alpes, il s’est manifesté dans cette discussion même un état d’esprit qui n’est rien moins que favorable à la direction des affaires italiennes depuis quelque temps. Le sentiment de la réalité des choses se réveille et se fait jour sous plus d’une forme.

Les illuminations allumées sur le passage de l’empereur Guillaume sont éteintes, et on commence à s’apercevoir que tout cela se paie, que la triple alliance coûte cher par tout ce qu’elle impose. M. Crispi a pu faire illusion un moment avec ses agitations et ses voyages à Friedrichsruhe : on en vient à le soupçonner de n’être qu’un ministre d’ostentation et de fantaisie. On lui accorde les crédits qu’il demande, parce qu’on croit ne pas pouvoir faire autrement ; on ne lui ménage pas les dures vérités. Un ancien ministre, un ancien compagnon de M. Crispi dans l’opposition, M. Baccarini, n’a pas caché ses doutes ; il a déclaré que, si on votait les crédits, il avait la confiance que le gouvernement,