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fautes et attendre un appui des conservateurs de bonne volonté. Il ne veut pas être suspect d’intelligence avec les conservateurs : c’est probablement l’explication de ses récens dithyrambes sur la laïcisation. Il peut être tranquille, il a peu de chance, après cela, d’avoir l’appui des conservateurs ; mais il ne voit pas que par cela même, qu’il le veuille ou qu’il ne le veuille pas, il est le complice et l’allié des radicaux. Il ne se livre pas, il est vrai, sans restriction et sans calcul, il fait des façons ; il trace de beaux programmes opportunistes sur les conditions de gouvernement, sur les sentimens du pays impatient d’ordre et de repos. En réalité, il ne met pas moins tous ses soins à ménager les radicaux. Il a de savantes précautions pour parler de la sincérité de leurs idées, et il leur témoigne des égards. Il vote le plus souvent avec eux, et dans le dernier discours qu’il a prononcé, il se défend de toute intention agressive contre le ministère, qu’il s’étudie à meure au-dessus ou en dehors de sa discussion. On sent en tout cela quelque tactique, quelque alliance plus ou moins sincère, plus ou moins avouée, et le secret de cette alliance n’est pas difficile à pénétrer : c’est le scrutin d’arrondissement que M. Jules Ferry et ses amis veulent avant tout avoir, que M. Floquet a fini par se décider à leur accorder. Voilà la dernière arme tenue en réserve par les opportunistes et les radicaux momentanément réunis pour les élections prochaines. C’est la grande nouveauté qu’ils se proposent d’inscrire d’un commun accord dans le programme de ce que M. Challemel-Lacour a appelé, avec une dédaigneuse ironie, la « politique capiteuse des réformes ! »

A vrai dire, ceux qui ont toujours défendu contre les républicains eux-mêmes le scrutin d’arrondissement comme le plus vrai et le moins périlleux sont bien désintéressés. Ils peuvent seulement remarquer que ce sont les républicains qui ont fait revivre, il y a quelques années, le scrutin de liai » parce qu’ils croyaient y voir leur intérêt, que ce sont les républicains qui proposent aujourd’hui le scrutin d’arrondissement parce qu’ils y voient encore leur intérêt, que dans tous les cas, il ne s’agit plus de la vérité, de la sincérité du suffrage, il ne reste qu’un expédient de parti dont on se sert alternativement par un calcul de domination, Est-on du moins d’accord entre opportunistes et radicaux pour aborder la « grande réforme » qui doit pulvériser M. le général Boulanger et ses ambitions plébiscitaires ? Ce serait curieux à savoir, comme tout secret de comédie. Au fond, on le sent bien, M. Floquet n’est point sans se défier et sans flairer quelque piège ; il soupçonne que le jour où le scrutin d’arrondissement serait voté, il serait perdu, et toute sa tactique est de déjouer les calculs des opportunistes, en faisant passer la révision constitutionnelle avant la réforme de la loi des élections. Le jour où il aura d’abord sa révision, il reste maître du terrain et