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pas le seul qui ait vécu pour la littérature et pour l’art, et qu’étant plus de cent qui ne vivons, comme lui, que pour l’art et la littérature, nous ne voyons pas pourquoi nous n’admirerions qu’en lui ce que nous faisons comme lui, sans en mener tout ce fâcheux, cet immodeste et ce bruyant tapage.

Pour toutes ces raisons, je l’avouerai sans détours, je ne puis regretter la chute de Germinie Lacerteux ; et je suis bien aise, au contraire, après les expériences du Théâtre Libre, faites à huis-clos, pour ainsi parler, d’avoir vu, sur une grande scène, le naturalisme s’offrir enfin au jugement du public, sous l’espèce de l’un de ses « chefs-d’œuvre » et dans la personne de l’un de ses « grands hommes. » Car, ce que c’est que cet m’art nouveau » dont on nous rebattait les oreilles, le public le saura maintenant ; et les amis de M. de Goncourt, pour détourner la conséquence, auront beau dire, — comme ils l’ont fait, — que Germinie Lacerteux n’est pas une pièce naturaliste, il suffira de leur demander, au cas d’une victoire, si ce n’est pas au naturalisme qu’ils en eussent fait honneur. L’art nouveau, tel qu’il s’annonce dans Germinie Lacerteux, c’est l’enfance même de l’art, et ses procédés n’ont rien de plus original que de nous reporter aux origines du théâtre. Je pourrais aisément philosopher là-dessus, et montrer que, sortis autrefois des mêmes commencemens, si le théâtre et le roman se sont perfectionnés en se séparant, et en passant, comme l’on dit, de « l’homogène à l’hétérogène, » ce serait sans doute un singulier progrès que de prétendre aujourd’hui les ramener à leur état d’indivision ou de confusion primitive. Mais je ne veux pas brouiller les idées et mêler ensemble deux choses qui n’ont rien de commun : le progrès, dont la nature est d’être continu, et l’art, qui ne serait plus l’art, s’il suffisait de le vouloir pour le renouveler et le perfectionner. Finissons donc plutôt en nous excusant d’avoir parlé si longuement et si sérieusement d’une pièce dont nous aurions mieux aimé nous taire. Nous serons d’ailleurs assez justifié si le lecteur pense avec nous, en y songeant un peu, que nous devions à la réputation de M. de Goncourt (quoique surfaite), au bruit que l’on a fait autour de Germinie Lacerteux (quoique démesuré), d’en parler comme d’une pièce qui aurait mieux valu ; que, pour discuter une question d’art ou de littérature, il faut bien la prendre comme elle se pose ; et que le dédain, qui est une manifestation de notre humeur, n’est pas une forme de la critique.