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ce succès n’a pas été toujours immérité. Pour admirer le Demi-Monde ou un Père prodigue, nous ne nous croyons pas tenus de méconnaître l’Assommoir ni Germinal, et encore moins le Nabab ou Sapho.

De ce que la disposition du sujet ne saurait être la même dans le roman et au théâtre, il en résulte que l’intérêt non plus n’y saurait être de la même nature, et c’est encore une de ces lois que, dans l’école naturaliste, on s’obstine à ne pas comprendre. Non pas du tout, comme ils le disent, — et comme il leur faut, en vérité, trop peu de franchise ou de bonne volonté pour le croire, — que nous leur demandions de marier Jupillon avec Germinie Lacerteux, ou seulement de punir le vice et de récompenser la vertu, puisque, hélas ! à ce compte, le roman cesserait d’être une imitation de la vie. On le leur a redit plus de vingt fois, et nous voulons bien le leur redire encore : toute liberté leur est laissée, dans le roman au moins, de représenter la nature et la vie telles qu’elles sont, ou telles qu’ils croient les voir ; et, nous, le seul droit que nous réclamions, c’est celui de discuter la justesse ou la vérité de leur manière de voir. Qu’au lieu donc de nous intéresser aux personnes, et de nous mettre avec elles en communication de souffrances ou de joies, ils s’efforcent de nous intéresser plutôt aux conditions, et, sans avoir d’égard à la valeur morale des actes, qu’ils les décrivent tels qu’ils sont, du point de vue de l’histoire naturelle, à la façon d’un zoologiste qui déterminerait les caractères d’une espèce ou d’un physiologiste qui chercherait les raisons générales d’un cas particulier, c’est leur affaire ; et, de notre part, nous ne voyons pas ce qu’ils y gagnent, ou même nous pourrions leur dire ce qu’ils y perdent, mais, après tout, il n’y a rien là qui leur soit interdit par les lois du roman. Les considérations qui devraient quelquefois les empêcher de traiter de certains sujets, — comme la Fille Élisa, par exemple, et comme Germinie Lacerteux, — sont d’un autre ordre, purement morales, nullement esthétiques, et on a tort de les confondre. On a tort de leur reprocher au nom du bon goût ce qu’on pourrait leur reprocher au nom de la morale publique. Mais, au théâtre, il n’en va pas de même ; la morale fait, elle aussi, une partie du plaisir que nous y allons chercher ; nous ne supporterions ni que de certaines scènes y fussent mises sous nos yeux ni que le vice y triomphât avec trop d’insolence ; et si la comédie n’a pas été inventée précisément pour « corriger les mœurs, m’qui ne sait au moins qu’une plus équitable répartition de la justice parmi les hommes, après en avoir été l’origine, continue, si l’on peut ainsi dire, d’en être toujours l’une des fonctions ?

Ici encore, les naturalistes auront beau faire, la nature des choses sera plus forte qu’eux et que leurs prétentions. Cette dureté de cœur, cette indifférence de l’auteur pour les misères de ses personnages, que