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pour l’Allemagne. Si intelligent que soit M. Crispi, il y a des choses qui lui échappent. Il ne comprendra jamais que, sous peine de prêter à la raillerie, il ne faut pas se comparer à l’Etna, qu’il est malséant de fêter les vêpres siciliennes, et que la mesure en toute chose est la marque des vrais hommes d’état.

Mais gardons-nous de croire qu’il fût homme à se contenter longtemps des stériles satisfactions d’amour-propre que procure une politique de parade qui ne conduit à rien. Quand on examine de près sa conduite, on voit qu’une idée, à laquelle il rapporte tout, dirige toutes ses actions, inspire toutes ses paroles. Il juge avec raison qu’un homme d’état qui parviendrait à résoudre à jamais la question romaine acquerrait un grand nom et se ferait une place à côté de Cavour dans le souvenir reconnaissant du peuple italien, et il pense avec non moins de raison que la question romaine ne sera résolue que le jour où le souverain pontife, reconnaissant le fait accompli, renoncera à ses revendications, tiendra le détenteur du Quirinal pour un propriétaire légitime, consentira à traiter, à capituler.

Rien ne lui est plus insupportable que l’entêtement d’un pape qui redemande éternellement son bien, et il a juré d’en faire justice. C’est à cela que doivent lui servir et les lois qu’il fait voter et sa politique démonstrative et la triple alliance. Le saint-père n’en peut ignorer, on lui répète sur tous les tons : « Pliez, cédez, résignez-vous ; ne voyez-vous pas que les temps sont changés ? Les ministères de droite vous témoignaient beaucoup d’égards et de grands respects ; mettez-vous bien en tête que vous n’avez point de ménagemens à attendre de nous, que nous sommes résolus à tout faire pour vous mater et pour détruire vos illusions. Grâce à notre loi municipale, il n’y aura plus en Italie de syndics cléricaux. Nous avons fait un code pénal qui assimile au crime de haute trahison tout vœu publiquement exprimé en faveur du rétablissement de votre puissance temporelle. Nous avons les bras longs, des épaules carrées et le verbe haut. D’où pourriez-vous attendre quelque secours ? En entrant dans la triple alliance, nous avons mis l’Autriche dans l’impossibilité de rien tenter pour vous, et l’Allemagne, à laquelle nous garantissons ses conquêtes, nous garantit en retour la paisible jouissance de notre usurpation. Son empereur n’est-il pas venu passer en revue nos soldats et notre flotte ? Vous êtes seul, absolument seul. Soyez raisonnable, faites-nous des propositions de paix. Vous verrez que nous sommes de bons princes et de bons enfans quand on nous caresse au bon endroit. Nous vous ferons un pont d’or et nous vous prodiguerons les guirlandes. »

M. Crispi est un gibelin, qui s’appuie sur l’empire d’Allemagne pour avoir raison du pape et des guelfes. Cette politique gibeline produira-t-elle les heureux résultats qu’il en attend ? Le pape se laissera-t-il