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trouve Timbouctou, la ville la plus considérable du désert, ou bien la surface unie entre Tripoli, la fertile oasis de Koufara et le Nil.

Sans doute, l’établissement de voies ferrées à travers le Sahara rencontrera bien des difficultés, mais ces difficultés sont peut-être moins graves que celles que la Russie aura à combattre pour accomplir ces sortes d’entreprises dans l’Asie centrale, où le général Annenkof vient de les inaugurer si brillamment, en franchissant les affreuses solitudes entre la Caspienne et Merv. Or, dans l’Asie centrale, les déserts n’ont point, comme dans le Sahara, les ressources d’abondantes eaux souterraines et de fertiles oasis, et, de plus, ils sont plus ou moins complètement isolés et séparés de la mer, ce qui les expose à toutes les rigueurs d’un climat continental caractérisé par les extrêmes de chaleur et de froid. Enfin, la France jouit sur le littoral occidental de l’Afrique d’une position éminemment privilégiée, car elle y touche aux deux plus grands fleuves du continent africain : au Niger par le Sénégal et au Congo par sa colonie du Gabon, qui n’est éloignée de ce dernier fleuve que d’environ 700 kilomètres[1].

Ainsi nous voyons que le Sahara est destiné à jouer un rôle très important dans la civilisation de l’Afrique, grâce aux avantages exceptionnels qu’il possède et qui ont été refusés aux grandes régions désertiques des autres parties du monde, notamment au célèbre désert asiatique du Gobi, le plus vaste après le Sahara, dont je me propose d’entretenir prochainement les lecteurs de la Revue.


P. DE TCHIHATCHEF.

  1. M. le docteur Hayfelder, qui avait accompagné, en qualité de médecin, le général Skobelef de même que le général Annenkof, vient de publier, sous le titre de Transkaspien und seine Eisenbahnen, un ouvrage important sur le chemin de fer entre la Caspienne et Samarkand. Ce travail permet d’établir un parallèle intéressant sous ce rapport entre le Sahara et l’Asie centrale, parallèle éminemment favorable au Sahara, car il en résulte que ce dernier est loin d’offrir les prodigieuses difficultés qu’ont eues à combattre les Russes dans une contrée non-seulement ensevelie sous des sables mouvans et privée d’eau, mais encore exposée à toutes les rigueurs d’un climat extrême, puisque les chaleurs estivales y rivalisent avec celles de l’Afrique, tandis que la température hivernale y descend quelquefois à 20 degrés au-dessous de zéro. Et cependant, malgré tous ces obstacles, les frais de cette étonnante opération ont été si peu considérables que le kilomètre n’est revenu qu’à 32.000 roubles (64,000 francs en évaluant le rouble à 2 francs). Le docteur Hayfelder attribue ce fait curieux, d’une part, à la rapidité de la construction, puisqu’on n’a mis que deux années à franchir une ligne de plus de 1,000 kilomètres, et, d’autre part, à la modicité du salaire des ouvriers, qui se contentent de 0 fr. 20 à 0 fr. 30 par jour. Or, dans le désert du Sahara, les Arabes ne se montreraient guère plus exigeans.