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navigation en dehors des colonnes d’Hercule, ces animaux avaient été observés sur les rives d’un lac hérissé de roseaux, situé près de l’océan. D’après Appien, Asdrubal y chassa l’éléphant, et, selon Plutarque, Pompée fit de même en Numidie. Peu de temps avant le débarquement de Jules César en Afrique, le roi Juba avait fait venir des éléphans, qui, n’étant pas encore suffisamment domestiqués, mirent son armée en déroute dans la bataille de Thapsus. Il y a des monnaies nubiennes et même des monnaies romaines sur lesquelles sont figurés des éléphans qui, par leurs oreilles, sont parfaitement reconnaissables comme africains.

J’aurais pu multiplier les témoignages historiques qui prouvent que l’éléphant n’a disparu dans l’Afrique septentrionale qu’au moyen âge, mais je les crois parfaitement suffisans, et je me permettrai seulement d’y ajouter l’opinion de M. Oscar Fraas, qui pense que l’absence de toute représentation de chameau, non-seulement dans les ruines de la célèbre cité de Saqqarah (Égypte), dont les murs sont recouverts de figures de divers animaux, mais encore à Thèbes, fondée trois mille ans après Saqqarah, prouve qu’à cette époque le désert n’existait pas : c’est aussi ce que prouvent tant de splendides monumens que leurs fondateurs n’auraient certainement pas élevés au milieu des solitudes inhospitalières. Oscar Fraas exprime la conviction que les conditions climatologiques de l’Égypte étaient jadis tout autres, même à l’époque des Grecs, lorsque Alexandrie fut le foyer des sciences et des arts, dont les rayons éclairaient toutes les parties du monde alors connues ; il pense que l’activité extraordinaire qui animait cette cité suppose des conditions de climat différentes de celles d’aujourd’hui, et il s’écrie : « Sur le sol actuel du Nil ne naîtra jamais un nouveau système philosophique, et aucun pouvoir humain ne parviendra à y élever des universités capables de rivaliser avec celles de l’Europe. »

Les conclusions auxquelles conduisent les faits nombreux que nous avons signalés en Égypte sont applicables également à la péninsule limitrophe, celle de Sinaï, ainsi que l’a fait observer le voyageur allemand que je viens de citer. Lorsqu’on considère que, dans cette péninsule parfaitement aride, les Israélites, comptant 60,000 hommes capables de porter les armes, ont pu rester, à leur sortie de l’Égypte, plusieurs années, il devient impossible de ne pas admettre qu’à cette époque le Sinaï était une fertile région alpine, pourvue de riches pâturages et de copieux cours d’eau ; en aucun cas, cette contrée n’a pu avoir rien de commun avec le désert aride qu’elle représente aujourd’hui.