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déserts, paraît avoir été inconnu en Afrique presque jusqu’à l’ère chrétienne, car aucune figure de ce ruminant n’a été découverte sur les monumens de la Syrie ou de l’Egypte, et Polybe, en parlant de la cavalerie des Carthaginois, mentionne l’éléphant, mais jamais le chameau.

J’ai déjà signalé ce fait important en Asie-Mineure[1] sur l’autorité des auteurs classiques, qui attribuent la victoire remportée par Cyrus dans la bataille de Sardes sur le roi de Lydie (Crésus) à la présence dans l’armée persane des chameaux, dont l’aspect frappa de terreur la cavalerie lidyenne et la mit en fuite. Même au VIe siècle de notre ère, l’historien Procope mentionne une impression semblable produite sur la cavalerie romaine par la vue des chameaux dans l’armée arabe ; mais, ce qui est encore plus remarquable, c’est qu’aussi tard qu’au XIIe siècle, Glycas, dans ses Annales, en parlant de la bataille de Sardes, rapporte les témoignages d’Hérodote et de Xénophon quant à l’effet produit par les chameaux persans, mais n’ajoute à cette citation aucune remarque relative à la différence entre les chameaux d’alors et ceux de son temps, ce qui semblerait prouver qu’il n’y trouvait rien d’extraordinaire, que, par conséquent, même au XIIe siècle, le chameau n’était pas devenu, dans cette partie de l’Orient, familier, comme il l’est aujourd’hui, à la race chevaline. Enfin, Hérodote et Pline, ainsi que plusieurs monumens ornés de figures d’animaux, démontrent que, dans le courant de l’époque historique, l’Afrique septentrionale était habitée par l’éléphant et par le rhinocéros, et, ce qui est plus significatif, par les crocodiles, car ces amphibies supposent des cours d’eau permanens.

Il est impossible d’attribuer la disparition de tous ces animaux à la seule action de l’homme, surtout lorsqu’on réfléchit que les contrées où leur présence a été constatée étaient infiniment plus peuplées qu’aujourd’hui, et, dès lors, beaucoup moins favorables à leur séjour. Nous sommes donc forcés d’admettre un changement dans les climats de ces contrées, notamment un accroissement de la sécheresse atmosphérique, qui peut expliquer l’introduction tardive du chameau, aussi bien que la disparition de l’éléphant dans le nord de l’Afrique. En effet, en Asie comme en Afrique, l’éléphant exclut le chameau, et vice versa, en sorte que dans la partie de la vallée du Nil où l’éléphant prospère, le chameau a peine à subsister. Le témoignage le plus ancien de la présence de l’éléphant dans l’Afrique cissaharienne paraît être le Périple de Hannon, qui rapporte qu’après une demi-journée de

  1. Tchihatchef, Asie-Mineure ; Zoologie, p. 757.