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que ces eaux paraissent également exister dans les parties du désert les plus sablonneuses et les plus dépourvues de cours d’eau ou de précipitations atmosphériques. Ainsi, M. Rolland donne des renseignemens intéressans sur la région des eaux artésiennes du bas Sahara en général, et M. de Lesseps nous apprend que, dans le désert, entre Biskra et le golfe de Gabès, l’un des puits forés à 1,500 mètres de l’embouchure de la petite rivière Oued-Melah et à 1,200 mètres de la mer, on découvrit en 1883, à la profondeur de 30 mètres, une nappe jaillissante d’une telle puissance, que le débit atteignit 8,000 litres par minute. La vitesse de l’eau, dans l’intérieur du tubage, était de 5m,5 par seconde, et de grandes quantités de sable, de marne et de calcaire, du poids de 12 kilogrammes, étaient lancées par l’orifice du trou. La température de l’eau était de 25 degrés. L’année suivante, un autre puits offrit un phénomène bien plus curieux encore. Un bruit souterrain se fit entendre et fut suivi d’un écroulement général des dunes limitrophes et de l’apparition, à côté du puits, d’un lac ayant la forme d’une ellipse dont les axes avaient 20 et 15 mètres ; la profondeur du lac atteignait partout 10 mètres ; les talus étaient à pic, sauf un seul côté.

La constitution géologique du Sahara offre un grand intérêt, mais c’est une étude qui nous entraînerait trop loin ; bornons-nous à quelques considérations générales relatives à l’époque probable où l’émersion du grand désert a pu avoir lieu.

C’est une question qui a été l’objet de longues controverses ; pendant longtemps, la majorité se prononçait en faveur de l’émersion très récente du Sahara, opinion quelquefois formulée d’une manière tellement péremptoire qu’elle semblait exclure la possibilité d’un doute quelconque[1]. Déjà, depuis une quinzaine d’années, je m’étais rangé au nombre des adversaires de l’émersion récente (post-tertiaire), et j’ai de nouveau traité cette question dans un de mes derniers écrits[2], en sorte que je n’ai pu voir qu’avec une vive satisfaction un savant aussi compétent que le professeur Zittel venir la trancher définitivement, en démontrant la

  1. Parmi ces opinions tranchées figure celle de mon excellent et savant ami Charles Martins, qui crut pouvoir dire : « L’événement est récent, géologiquement parlant ; il remonte peut-être à cent mille ans seulement. Le nombre des années, on ne saurait le préciser, mais l’événement a une date relative, il est postérieur aux dépôts tertiaires. » Au reste, cette manière un peu trop sommaire de trancher des questions controversées s’est déjà produite plus d’une fois dans l’histoire de la science, et il suffirait de rappeler la manière dont deux savans de premier ordre ont cru pouvoir s’exprimer sur la véritable patrie de la pomme de terre ; car, tandis que Humboldt déclarait magistralement à Merlin : « La pomme de terre n’est pas indigène au Pérou, » à la même époque, Cuvier écrivait à Paris : « Il est impossible de douter que la pomme de terre ne soit originaire du Pérou. »
  2. Espagne, Algérie et Tunisie, p. 418.