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d’opinions divergentes de la part des géologues. C’est un des phénomènes les plus importans et encore les moins connus de l’histoire de notre globe, et qui mérite d’être considéré de plus près.

Le professeur Zittel, le savant explorateur du désert libyen, tout en admettant l’action du vent dans l’accumulation des sables, croit qu’elle ne suffirait pas pour faire disparaître l’énorme masse de rochers dont les piliers isolés désignés par le nom de témoins ne sont que les restes ; pour produire de tels effets, la coopération de l’eau deviendrait indispensable. Cela suggérerait la supposition qu’à l’époque où ces violentes inondations eurent lieu, les conditions climatologiques du pays étaient très différentes de celles d’aujourd’hui, car de telles masses d’eau fournies par les pluies indiqueraient une humidité atmosphérique extraordinaire.

En tout cas, quel qu’ait été l’agent qui a opéré le transport des sables, ces derniers ont dû avoir été empruntés au grès nubien, car les sables exclusivement quartzeux du désert ne peuvent provenir des roches calcaires et marneuses qui le composent.

Cette hypothèse sur l’origine des sables est corroborée par des considérations sur l’action extraordinaire du vent dans le transport des substances pulvérisées, ainsi que par l’étude comparée des sables tombés dans différentes contrées.

Un exemple frappant de l’action du vent exercée sur d’énormes espaces est fourni par le célèbre géographe arabe Edrisi, qui déjà, au XIIe siècle, parla avec étonnement des sables rouges et des brouillards secs qui obscurcissaient fréquemment le ciel de l’Atlantique, entre le Cap-Vert et l’Amérique du Sud, espace qu’Edrisi qualifia de mer obscure (Bar-el-Mecdolin), le mare tenebrosum des auteurs du moyen âge. Ce phénomène, qui préoccupa pendant longtemps les savans a été consciencieusement étudié par le docteur Gustave Helleman, qui émit sur l’origine du curieux phénomène des conclusions diamétralement opposées à celles de ses prédécesseurs, y compris le célèbre Ehrenberg. M. Helleman fit voir que les nuages de poussière dont il s’agit viennent du Sahara occidental.

L’étude de la composition des sables transportés de diverses contrées par les vents a donné à M. Gaston Tissandier des résultats aussi intéressans qu’inattendus. En examinant au microscope la poussière tombée, le 9 octobre 1879, à Boulogne-sur-Mer, et en la comparant à celle du Sahara, il trouva que leur composition était exactement la même, et que les restes des plantes cryptogamiques que renfermaient l’une et l’autre étaient identiques ; mais ce qui est plus remarquable, c’est qu’une analogie tout aussi prononcée fut constatée par M. Gaston Tissandier entre le sable du Sahara et celui du Gobi, bien que les deux déserts soient distans l’un de l’autre de 600,000 kilomètres.