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mais, par le fait, l’alcool vinique ou éthylique domine tellement sur ses congénères, qu’on peut supposer, sans s’écarter de la vérité, que les éthers qu’il forme avec les acides précédemment énumérés sont de beaucoup les plus importans ; et, du reste, les propriétés d’un éther donné paraissent plutôt dépendre de la nature de l’acide générateur que de celle de l’alcool éthérifié. Le vin contient donc des éthers acétique, tartrique, malique, succinique, à faible dose, il est vrai, car la présence d’un excès d’eau entrave le conflit des deux élémens acide et alcool ; mais le rôle de ces substances n’en est pas moins essentiel, puisque leur présence communique au vin ses plus précieuses qualités, c’est-à-dire son bouquet et sa saveur. Aussi le bouquet d’un vin est-il d’autant plus prononcé que le vin est à la fois plus riche en acide et plus spiritueux (Gautier). A mesure qu’un vin de bonne qualité avance en âge, l’éthérification se poursuit, et le goût, le parfum, s’améliorent. Comme l’application d’une chaleur modérée favorise le même phénomène, il est possible de vieillir artificiellement le vin en le chauffant, sans compter que l’opération détruit les germes de maladie et tue les fermens.

Les éthers que les chimistes ont préparés et étudiés dans leurs laboratoires et auxquels l’esprit de vin sert de base, presque tous volatils, sont doués d’un parfum suave caractéristique, alors parfois même que l’acide primitif exhale une odeur repoussante. Par exemple, l’éther butyrique s’emploie en confiserie sous le nom d’essence d’ananas, et imite à s’y méprendre le parfum de ce fruit, jusqu’au jour où le bonbon, rongé par l’humidité, s’imprègne d’acide butyrique et acquiert l’atroce odeur du beurre rance.

Comme, en définitive, les élémens basiques font défaut dans le vin, et que la présence de l’eau gêne l’éthérification, une bonne partie des acides, au moins des acides organiques, doués d’affinités moins violentes, restent à l’état libre sans être saturés. Il faut aussi tenir compte d’un fait essentiel : les acides succinique, malique et tartrique sont doués tous les trois d’une double fonction acide et éthérifiante. Prenons pour exemple le plus important de tous, l’acide tartrique ; dissolvons dans l’eau 15 grammes de ce corps et ajoutons 11 gr. 2 de potasse caustique liquéfiée dans quelques centimètres cubes d’eau. Un vif dégagement de chaleur se produit, et la liqueur limpide obtenue, indifférente aux réactifs colorés, constitue une solution de tartrate neutre de potasse. Recommençons l’expérience avec le même poids d’acide, mais en n’employant que la moitié de la potasse dépensée naguère, soit 5 gr. 6 ; nous ne retrouverons pas, comme on pourrait le croire, un mélange d’acide tartrique et de tartrate neutre, corps tous les deux solubles, mais nous aurons réalisé une substance nouvelle, à peine, miscible