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des lies et dépôts des bouteilles, des « tartres bruts » des foudres et futailles[1].

Mentionnons seulement pour mémoire les petites quantités d’acides phosphorique, sulfurique, chlorhydrique, que les vins naturels peuvent renfermer, et notons quels sont les principes basiques qu’on doit opposer à tous les acides minéraux ou organiques. La liste en est fort courte et ne contient, outre la potasse et la chaux déjà nommées, qu’un peu de fer, et encore ce dernier remplit un rôle sui generis que nous expliquerons sommairement lorsque nous dirons quelques mots de la couleur des vins.

Les bases ne sont pas les seules matières susceptibles de s’accoler aux acides et de les saturer en corrigeant leur âcreté. Toutes les fois qu’un acide libre est mis en présence d’un alcool, une transposition moléculaire tend à se produire au sein du mélange, et il se forme un « éther »[2] et de l’eau. Chose fort singulière, l’eau pure décompose elle-même les éthers déjà produits, en sorte que la réaction primitive de l’acide et de l’alcool s’arrêterait d’elle-même dans l’appareil distillatoire dès que la proportion d’éther et d’eau serait suffisante, si les chimistes, au moyen de divers artifices, n’avaient soin de se débarrasser de l’eau au fur et à mesure qu’elle se dégage. Dans le cas le plus général, si on abandonne à lui-même un mélange arbitraire d’eau, d’acide et d’alcool, il s’établit bientôt une sorte de compromis chimique, de modus vivendi passager, variable selon la concentration, la température, les proportions des masses réagissantes, et l’équilibre, s’il faut en croire MM. Berthelot et Péan de Saint-Gilles, persiste tant qu’il n’est pas troublé par des causes externes. L’éthérification n’est que partielle, et il reste toujours un excès considérable d’alcool intact et d’acide libre dont l’eau entrave le conflit. Lorsque le vin se forme, les circonstances sont à peu près celles que nous venons de supposer remplies, à cette différence près que le conflit se passe entre divers alcools et surtout plusieurs acides incomplètement saturés par les bases. Mais le repos chimique absolu ne règne jamais à l’intérieur de ce liquide trop complexe, et, depuis le jour où la boisson nouvelle a été décuvée jusqu’au moment où la liqueur cesse de mériter le nom de vin, les changemens se succèdent plus ou moins rapides, mais incessans.

Tous les alcools s’éthérifient avec plus ou moins de facilité ;

  1. Les trois acides succinique, malique et tartrique comprennent chacun quatre atomes de carbone et six d’hydrogène dans leurs molécules ; seulement le premier relient quatre oxygènes, le second cinq et le troisième six.
  2. Bien que l’éther sulfurique des pharmaciens se prépare avec l’alcool et l’acide sulfurique, il ne fait pas partie de la classe de composés que nous envisageons et ne saurait convenir comme exemple.