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à modérer la fougueuse action physiologique de ce dérivé. De fait, l’ingestion de plusieurs litres d’un vin naturel et pur titrant 10 degrés n’amène souvent aucun désordre grave ou permanent dans la constitution du sujet qui aura absorbé le liquide. Il suffit, pour s’en convaincre, de connaître les habitudes des vignerons du centre et de l’est de la France ; leur santé est excellente, et cependant ces braves gens sont de francs buveurs, dignes de rivaliser avec les héros de Rabelais ; ils suivent à la lettre, sans qu’on le leur ait jamais enseigné, le fameux précepte de l’école de Salerne, et se grisent de temps à autre pour se conserver ensuite frais et dispos. Faites absorber au même individu la même quantité d’eau alcoolisée à 7 ou 8 degrés seulement, et l’organisme finira tôt ou tard par être affecté de symptômes morbides ; cependant, dans cette hypothèse, l’estomac aura ingéré moins d’agens excitans. Les effets auraient été plus pernicieux encore si on avait diffusé le même poids de spiritueux dans un plus faible volume d’eau, et ils eussent acquis plus de violence si l’alcool employé avait été tiré, non du raisin, mais de la pomme de terre ou de la betterave.

Aux yeux du chimiste théoricien, l’alcool est un composé ternaire comprenant dans sa molécule un seul atome d’oxygène, deux de carbone et six d’hydrogène. Il a servi à nommer une interminable série de dérivés dont les premiers termes sont effectivement ses proches voisins, sous tous les rapports ; mais la définition, généralisée par degrés, a fini par s’appliquer à des substances qui n’ont plus de commun avec l’esprit de vin que certaines propriétés chimiques. Les plus simples de tous et les plus voisins du prototype contiennent invariablement un atome d’oxygène accolé à des atomes d’hydrogène et de carbone. Le nombre de ces carbones ou de ces hydrogènes varie naturellement suivant l’individualité de l’alcool ; mais toujours le chiffre des hydrogènes est égal à celui des carbones doublé et accru de deux unités[1]. La complication moléculaire croît avec la richesse en carbone, et, chose curieuse, le pouvoir nocif s’accentue. Associez par la pensée à l’atome unique d’oxygène, non plus deux carbones, mais successivement trois, quatre, cinq, etc., et vous réalisez : avec trois carbones et huit hydrogènes, l’alcool propylique ; avec quatre carbones et dix hydrogènes, l’alcool butylique. Ces deux alcools, qu’on nomme « supérieurs, » parce que leur teneur en carbone est supérieure à celle de l’esprit de vin proprement dit, se trouvent dans les vins, quoiqu’on bien faible proportion, et, selon toute probabilité, partie à l’état libre, partie à l’état de combinaison éthérée. Il en est de même du

  1. Effectivement on voit que, pour l’alcool ordinaire, 2x2 +2 = 6.