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est bien plus sérieuse, si, au lieu d’une sorte d’eau minérale incorruptible dont les principes sont doués de caractères nets, tranchés, violens, on envisage une liqueur comme le vin, variable dans son essence, dérivant d’une transformation chimique lente et complexe. Dans cette mixture délicate et confuse, véritable microcosme chimique, il semble que la nature ait tenu à faire figurer au moins un représentant de toutes les classes de composés étudiées jusqu’à ce jour. Oui, le chimiste a raison d’affirmer que son analyse lui a fourni certaines proportions d’alcool, de glycérine, d’acide tartrique ou acétique, de potassium ou de crème de tartre, de sucre ou d’extrait sec, mais il aurait tort de soutenir que chacune de ces matières obtenues grâce à l’intervention de la chaleur ou de certains réactifs étrangers au vin préexistait au sein du liquide primitif inaltéré. Au contraire, tout porte à croire que les opérations analytiques provoquent des combinaisons ou des destructions mystérieuses ; et il est d’autant plus difficile de se rendre exactement compte de ces réactions que les unes sont définitives, les autres passagères et réversibles, les unes très lentes, les autres plus rapides. Enfin, reprenant le parallèle que nous avons déjà invoqué, ajoutons que, si l’analyse spectacle peut aisément révéler aux savans des traces imperceptibles de lithium entraînées par les flots de l’océan, il arrive ordinairement que le manipulateur le plus habile échoue quand il veut isoler et étudier, sans les altérer trop profondément dans leur essence, les principes délicats et multiples auxquels nos meilleurs vins doivent leur couleur, leur odeur et surtout leur délicieuse saveur. Pourtant la dose de ces matières est faible sans être infinitésimale !

Une fois les difficultés de la question bien indiquées, nous aborderons le catalogue des principales substances qu’on peut retirer du vin, lesquelles, noyées dans un fort excès d’eau, se fondent et se marient de façon à fournir une boisson saine et fortifiante dont l’homme peut améliorer la fabrication, mais qu’il n’imitera jamais, même imparfaitement.

L’alcool résulte, comme chacun sait, de la fermentation du sucre de raisin et joue le rôle d’un agent préservateur et antiseptique. La proportion d’alcool que l’alambic permet d’extraire par distillation d’un vin quelconque est toujours assez forte par rapport à celle des autres matières ; aussi peut-on affirmer, sans crainte de commettre d’erreurs, que la presque totalité de ce corps figurait à l’état libre dans la liqueur primitive. Cependant, il est parfaitement démontré par l’expérience journalière qu’une sorte de lien, difficile à constater chimiquement, mais dont la médecine apprécie les effets, rattache l’alcool aux diverses substances constituant le vin, de manière