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scrupuleux, la tâche des experts analyseurs, auxquels les tribunaux ou les acheteurs soupçonneux confiaient le soin d’examiner les liqueurs suspectes, devenait extrêmement ardue. Ils se sont mis courageusement à l’ouvrage, et à force de se familiariser avec les caractères, la composition, le dosage des vins de toute espèce, ils sont parvenus à dévoiler la plupart des « tours de main » à la mode et à en faire condamner les auteurs ébahis. Du reste, à part un petit nombre d’observations qu’ils tiennent secrètes, et pour cause, les savans qui s’efforcent de dévoiler les falsifications, ou qui s’intéressent aux méthodes d’analyse des vins, opèrent au grand jour et publient leurs recherches afin de vulgariser autant que possible la chimie œnologique, laquelle, plus qu’aucun autre art, a besoin de se transformer et de se perfectionner sans cesse. A ceux de nos lecteurs qui pourraient trouver étrange la divulgation de ces recettes de laboratoire, nous répliquerons que l’œuvre de la nature est à la fois si délicate, si parfaite, si harmonieuse, si complexe, que la main de l’homme venant la troubler, sciemment ou non, laisse neuf fois sur dix une empreinte indélébile que le chimiste finit toujours par retrouver, pourvu qu’il connaisse à fond les caractères du moût fermenté. Il en résulte qu’avant d’entrer dans le cœur même de notre sujet, un préambule s’impose, aussi long qu’indispensable : l’étude sommaire des vins naturels, et ce seul examen absorbera la première partie de notre travail.


I

Rien n’est moins simple à expliquer que la constitution chimique d’un vin vieux ou nouveau, bon ou médiocre, récolté à Tours, à Narbonne ou à Alger ; et l’analyse scientifique et raisonnée de cette boisson présente de graves difficultés dont il nous faut donner au moins un léger aperçu.

Les gens du monde plaisantent souvent certains chimistes, qui semblent travailler uniquement à la continuelle démonstration du fameux principe que « tout est dans tout, » et les railleurs n’ont pas absolument tort, car l’abus de semblables recherches peut égarer les savans dans un labyrinthe de minuties, tout en leur faisant perdre de vue les grandes lignes des questions scientifiques. Mais, en ce qui concerne les vins purs, le susdit principe est parfaitement exact et mieux qu’exact, puisqu’il conduit à des résultats pratiques et intéressans.

Envisageons d’abord la constitution élémentaire brute. Livrons à un chimiste un verre de vin de Bordeaux ; il pourra en extraire douze corps simples réunis en proportions très inégales ; d’abord trois métalloïdes caractérisant toute substance d’origine organique :