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ministre se préoccupait à juste titre, il le dut moins à ses combinaisons diplomatiques et stratégiques qu’à des chances heureuses, inespérées, aux fautes sans nombre de notre adversaire, aux tergiversations de la Prusse, et avant tout à la vaillance de nos soldats plus qu’à leur commandement, plus qu’aux combinaisons savantes de nos états-majors, aux mesures éclairées de notre intendance. M. Maxime Du Camp, dans une étude éloquente sur les calamités de la guerre, a rappelé récemment avec quelle imprévoyance nous sommes descendus en Italie, bien qu’une lutte contre l’Autriche fût de longue date arrêtée dans l’esprit du souverain.

L’entrevue de Stuttgart, si funeste par les complications dont elle a été le point de départ, marque néanmoins l’heure la plus brillante du second empire. Elle aurait pu être féconde, si, dégagée de préoccupations italiennes, elle s’était inspirée de la pensée qui, sous la restauration, en 1829, présida à nos pourparlers avec le cabinet de Pétersbourg. Elle n’a valu que des mécomptes à la France et à la Russie. Elle aurait pu fortifier, consolider la suprématie que nous venions de conquérir si rapidement ; elle ne servit qu’à entretenir les illusions de Napoléon III sur la solidité de son trône ; elle l’encouragea dans la politique aventureuse des nationalités, elle lui permit de faire la guerre néfaste de 1859. Elle ne fut, en réalité, qu’un de ces grands et décevans spectacles qui frappent l’imagination des peuples et servent d’enseignement aux philosophes. Les souverains qui ont présidé à cette éblouissante mise en scène ont disparu avec leurs ministres, victimes de généreuses aspirations ; tous les deux ont eu une fin tragique. L’alliance qu’ils essayèrent de cimenter, au milieu des galas, dans de fugitifs entretiens, avorta tristement, à peine ébauchée. Leur rencontre, dont nos archives n’ont conservé aucune trace, n’en restera pas moins un événement mémorable, marqué de curieux incidens. Il importait de faire revivre cet épisode fatidique de notre histoire et de montrer, en précisant la pensée de l’empereur et en retraçant l’attitude de l’Europe pendant la guerre d’Italie, l’influence qu’il a exercée sur la direction de notre politique extérieure et sur le cours de nos destinées. Peut-être me saura-t-on gré de l’avoir tenté.


G. ROTHAN.