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les résultats acquis, — et ils étaient considérables, puisqu’ils lui assuraient la Lombardie, — ne fussent remis en question, surtout si la France en était réduite à ne plus songer qu’à sa propre sécurité. L’armistice, il est vrai, conclu sans sa participation, méconnaissait en un point les stipulations de Plombières, qui, indépendamment de la Lombardie, assuraient les duchés au Piémont. L’empereur, dans l’entrevue de Villafranca, n’avait pu résister à la pathétique éloquence de François-Joseph, qui le suppliait de ménager ses parens, le duc de Modène et le grand-duc de Toscane. Il s’était laissé attendrir, impressionné d’ailleurs par les nouvelles alarmantes qu’il recevait d’Allemagne et par les conseils pacifiques que lui donnait la Russie ; mais, pour dédommager Victor-Emmanuel de ce sacrifice, il renonça spontanément à Nice et à la Savoie. Il ne les revendiqua que lorsque M. de Cavour, après la guerre, en violation du traité du 18 janvier 1859, n’assurant à la Sardaigne qu’un état de 11 millions d’habitans au nord de la péninsule, eut recours aux moyens révolutionnaires pour s’emparer de Naples, de Parme, de Modène, de la Toscane et des états pontificaux[1].

Un souverain prévoyant, soucieux de la sécurité de son pays, eût, après de telles épreuves, compris la portée de sa faute ; il eût rappelé un allié, peu reconnaissant, énergiquement au respect des traités ; mais, bon et généreux, il ne tirait aucun enseignement des expériences les plus troublantes. Il avait pour l’Italie des indulgences paternelles. N’était-elle pas son œuvre ? Il la traitait en enfant prodigue, pensant toujours la ramener à lui à force de soins, de patience et de concessions. Il lui en coûtait d’admettre qu’elle pût jamais oublier les souvenirs de 1859. S’il a été cruellement déçu en 1870, qu’éprouverait-il aujourd’hui ?


XIV. — EPILOGUE.

Si la Russie n’avait pas répondu à toutes nos espérances, elle nous avait du moins rendu de précieux services, d’autant plus méritoires qu’en apparence ils étaient désintéressés. La guerre d’Italie, cependant, lui avait valu plus d’une satisfaction ; elle s’était vengée de l’Autriche, et, après un long effacement, elle avait reparu avec autorité dans les conseils de l’Europe ; elle avait recouvré aussi de l’ascendant à Constantinople. Si elle n’avait pas profité de

  1. Ce fut à une fête de la cour à Milan que notre ministre, le baron de Talleyrand, reçut une dépêche impérieuse, lui intimant l’ordre de mettre le gouvernement piémontais en demeure de s’exécuter sans retard.