Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à la débonnaireté. Les violences de son ministre, le comte de Cavour, après Villafranca, les invectives de ses journaux, les sifflets qui l’accueillirent à Turin à sa rentrée en France, l’attristèrent, sans dissiper ses illusions.

La paix de Villafranca, véritable coup de théâtre, avait exaspéré l’Italie ; elle fut une vive déception pour la France, tant l’unité italienne lui tenait à cœur. Elle vit dans ce dénoûment imprévu, mais forcé, une atteinte à ses plus chères, à ses plus vieilles espérances. Égarée par les déclamations des journaux inspirés par M. de Cavour, elle fit au gouvernement impérial un crime d’avoir laissé en souffrance le manifeste de Milan. On se refusa de comprendre que la paix, si heureusement conclue, nous sauvait d’une intervention allemande et dégageait notre politique d’un périlleux engrenage. En nous arrêtant, avec le prestige de rapides victoires, nous restions les arbitres de l’Europe ; nous maintenions l’Autriche et le Piémont sous notre coupe, et nous exposions la Prusse, réduite à l’impuissance, à leurs ressentimens. Il suffisait, pour saisir les avantages que nous assurait une paix réellement providentielle, d’écouter la raison et de ne pas sacrifier au sentiment. Mais l’opinion en France, capricieuse, versatile, à moins d’être menée par des esprits supérieurs, n’a jamais su se plier au réalisme de la politique étrangère, discuter à froid ses intérêts et les faire prévaloir. On préféra incriminer l’empereur, s’attaquer à ses défaillances ; on attribua la fin précipitée de la guerre aux motifs les plus invraisemblables. Les plus indulgens prétendaient qu’il avait reculé devant le douloureux spectacle des morts et des blessés sur les champs de bataille ; ceux-là du moins rendaient hommage aux inspirations de son cœur.

Le comte de Cavour, pour conserver sa popularité et se délier de toute gratitude envers la France, manifesta l’indignation la plus véhémente ; si bien que l’empereur, facile à impressionner, demanda à son envoyé à Turin, le prince de La Tour d’Auvergne, de rester en tiers dans l’audience qu’il dut accorder au ministre piémontais avant de rentrer en France. M. de Cavour avait barre sur lui ; il espérait, par la présence de son ambassadeur, atténuer la violence de ses récriminations.

Le courroux du ministre de Victor-Emmanuel n’était qu’une tactique, car il n’ignorait pas notre situation militaire, ni ce qui se tramait à Berlin ; il savait qu’en dehors de nos 150,000 hommes, nous n’avions aucune réserve à mettre en ligne ; que, dans ces conditions, avec la perspective d’une intervention éventuelle de la Prusse et de l’Allemagne, le jour où nous franchirions le Mincio, la continuation de la guerre deviendrait calamiteuse ; il devait craindre que