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Il fait presque chaud sous ce soleil de novembre, qui éclaire d’une lumière douce très pure et cependant un peu atténuée...


Nous stationnons à un rond-point sablé, autour duquel s’élèvent des constructions légères en bambou, drapées et voilées de crépons de soie d’un violet tendre (couleur réservée aux souverains, comme était autrefois la pourpre en Occident) ; sur tous ces voiles lilas, des chrysanthèmes héraldiques blancs étalent leurs larges rosaces étranges.

Ce sont des expositions de fleurs. Sous ces abris et sous ces tentures impériales, il y a des collections de chrysanthèmes qui sont naturels, mais qui n’en ont pas l’air ; des chrysanthèmes merveilleux, en l’honneur desquels Leurs Majestés nous ont conviés; de très surprenans chrysanthèmes dont rien ne peut donner idée dans nos parterres d’automne. Avec une régularité géométrique, ils sont plantés en quinconces, sur des gradins en terre que recouvre une imperceptible mousse unie et comme passée au rouleau; chaque pied n’a qu’une seule tige, et chaque tige n’a qu’une seule fleur. — Mais quelle fleur ! plus grande que nos plus grands tournesols, et toujours d’une nuance si belle, d’une forme si rare : l’une a des pétales larges et charnus, disposés de telle façon régulière qu’on dirait un gros artichaut rose ; sa voisine ressemble à un chou frisé, d’une couleur fauve de bronze; une autre encore, du jaune le plus éblouissant, a des milliers de petits pétales minces qui s’élancent et retombent comme une gerbe de fils d’or ; il y en a qui sont d’un blanc ivoire, d’autres d’un mauve pâle, ou bien du plus magnifique amaranthe; il y en a de panachées, de nuancées, de mi-parties... Et on se rend compte du travail qu’a coûté cette production de fleurs géantes en regardant de près les à peine visibles supports qui montent le long des tiges, se bifurquent sous les feuilles, soutenant celles qui seraient trop lourdes, ou bien pinçant et arrêtant la sève chez celles qui se développeraient trop vite.

Les petites fées aux longs vêtemens de colibris regardent avec nous ces collections, mais d’un air de condescendance distraite ; comme il fait plus chaud, elles agitent, ouvrent et referment constamment leurs éventails de cour, qui sont bien les plus immenses éventails connus ; sur les soies plissées qui les composent sont peints des rêves très vagues, presque indicibles, des moires marines, des reflets d’eau dans des nuages, des lunes pâles d’hiver, des ombres de vols d’oiseaux qu’on ne voit pas, ou bien des pluies de pétales de pêcher emportées par le vent dans des vapeurs d’avril ; à chaque angle de la monture est attaché un énorme gland à fanfreluche, avec des queues en chenille nuancée qui trament par terre, balaient le sable fin à mesure que la dame s’évente...