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plus pratique serait de s’en tenir à une stricte défensive à Souakim. Qu’il y ait eu un certain ébranlement dans l’opinion, même dans le parlement, cela résulte d’un vote où le gouvernement est resté avec une majorité singulièrement diminuée. Le ministère s’est évidemment trop avancé pour ne rien faire ; il n’est pas moins embarrassé. Il semble disposé aujourd’hui à augmenter le contingent de secours confié au général Grenfell, et il n’est point impossible, après tout, que lord Salisbury ne voie dans cette expédition nouvelle une raison de prolonger l’occupation anglaise en Égypte. Ce serait décisif. Encore faudrait-il qu’il réussît jusqu’au bout et qu’il n’eût pas la mauvaise chance de préparer à l’opinion anglaise un double mécompte, — à Zanzibar et à Souakim !

La crise qui était dans l’air en Espagne n’a pas tardé à éclater. Elle a éclaté dès l’ouverture de la session nouvelle, qui ne date que de quelques jours. Elle a commencé par un échec assez sensible du gouvernement dès les premières opérations parlementaires, dans l’élection des vice-présidens du congrès ; elle a continué par des incidens qui ont mis la division dans l’armée ministérielle, dans une majorité artificiellement composée de libéraux de toutes nuances ; elle s’est aggravée et précipitée par les scissions intestines entre les ministres eux-mêmes, par la dissolution au moins momentanée d’un cabinet que le président du conseil, M. Sagasta, a réussi à faire vivre depuis trois ans en le remaniant périodiquement.

À vrai dire, cette crise n’a rien d’imprévu, elle était dans la situation, dans le mouvement des choses au-delà des Pyrénées. Jusqu’ici, M. Sagasta a vécu, par des prodiges de dextérité et de souplesse, entre les partis, retenant autour de lui les libéraux, même les libéraux les plus avancés, par ses promesses ou ses projets de réformes, évitant en même temps de trop pousser à bout les conservateurs, qui depuis trois ans se sont abstenus de toute opposition déclarée. Évidemment, depuis quelques mois, on sentait que le système d’équilibre et de bascule touchait à une crise nouvelle ; que M. Sagasta, avec son ministère composé de constitutionnels modérés et de libéraux démocrates, avec sa politique flottante, ne pouvait aller plus loin. Les conservateurs se sont lassés de leur rôle de patience et d’attente. Leur chef, M. Canovas del Castillo, sentant peut-être le besoin de prendre une position plus décidée, a parcouru quelques provinces : il a fait sa campagne de propagande conservatrice, prononçant sur son chemin d’éloquens discours, et les manifestations tumultueuses qui l’ont assailli à Saragosse, à Séville, surtout à Madrid, qui ont été assez mal réprimées par les autorités publiques, ces manifestations ont été, pour les conservateurs, un grief de plus ; elles ont été pour eux la preuve que le gouvernement, avec ses faiblesses, risquait