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assez vivement les Anglais, qui commencent à craindre d’avoir été engagés un peu légèrement. Ils peuvent sans doute se retirer ou ne pas suivre les Allemands : leurs intérêts, leurs missions de l’intérieur de l’Afrique ne sont pas moins compromis, et il y a là sûrement un point noir pour le gouvernement de la reine.

L’autre affaire, qui paraît prendre quelque importance, est tout à fait particulière à l’Angleterre, et a déjà retenti dans le parlement : c’est une expédition préparée par le ministère pour aller reprendre possession de Souakim, sur la Mer-Rouge. La ville de Souakim, occupée depuis longtemps par une simple garnison égyptienne, est depuis longtemps aussi assiégée par des forces soudanaises et par Osman Digma, un lieutenant de l’ancien mahdi. C’est cette ville que le gouvernement de la reine voudrait reprendre en dispersant les insurgés du Soudan qui l’assiègent, et déjà un des officiers de l’armée anglaise d’occupation au Caire, le général Grenfell, aurait reçu l’ordre de se mettre en marche avec un ou deux bataillons. Malheureusement les Anglais ont gardé un souvenir amer de toutes les expéditions tentées sans succès contre le Soudan ; ils ne peuvent oublier le désastre de Baker-Pacha, la fin tragique de l’infortuné Gordon, les échecs de lord Wolseley lui-même, obligé de renoncer à marcher sur Khartoum, — et à peine le projet du ministère a-t-il été divulgué, l’opinion s’est émue. L’affaire a été portée devant le parlement, où elle est devenue depuis quelques jours l’objet de questions incessamment renouvelées, d’objurgations de plus en plus embarrassantes. M. John Morley, au nom du parti libéral, a le premier pressé le gouvernement de ses interpellations, caractérisant d’un trait net et saisissant une entreprise qui ne peut être qu’inutile ou compromettante. Lord Randolph Churchill, l’ancien collègue de lord Salisbury, l’indépendant ou l’enfant terrible du parti conservateur, le leader du torysme démocratique, est intervenu à son tour, sinon en adversaire déclaré du ministère, du moins en censeur sévère et mordant, en ami plus dangereux qu’un ennemi.

Au demeurant, que dit-on au ministère ? Le dilemme est serré. Envoyer quelques compagnies, un secours insuffisant pour dégager victorieusement Souakim, lui dit-on, c’est faire une tentative vaine, c’est s’exposer à verser sans profit et sans honneur le sang anglais. La seule résolution virile, s’il y avait une résolution à prendre, serait d’envoyer des forces suffisantes, une armée plus sérieuse ; mais alors, c’est se jeter encore une fois dans les aventures, dans l’inconnu, c’est recommencer des expéditions qui ont déjà si mal tourné. De toute façon, c’est compromettre l’Angleterre ; et il faut bien qu’il y ait quelque chose de vrai, puisque l’agent anglais au Caire, sir Evelyn Baring, écrivait, il n’y a que quelques semaines, que la solution la