Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/956

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et auquel ils se sentent liés par la solidarité de parti. Ils n’aiment pas assurément le ministère Floquet, ils le subissent. Ils ont parfois quelque velléité d’engager la lutte contre lui, et quand M. le président du conseil, se tournant vers eux, les défie de son ton de suffisance arrogante, ils s’arrêtent, ils craignent de se compromettre. Ils attendront une occasion plus favorable, ils l’attendent depuis six mois, laissant toujours la crise s’aggraver. Le malheur de ces républicains est de n’avoir pas vu, quand il était temps, naître le danger, de n’avoir pas compris, il y a des années déjà, que le moment était venu de s’arrêter dans cette voie de persécutions religieuses ou scolaires, de prodigalités financières où ils étaient entrés, de n’avoir point compris aussi qu’ils ne pouvaient accomplir cette œuvre de rectification ou de modération qu’en s’entendant avec des modérés, avec les conservateurs de bonne volonté. Ils ne l’ont pas voulu ; ils ont préféré voter au besoin pour M. Basly et M. Camélinat. Ils ont vécu avec cette puérile terreur de paraître rechercher l’alliance des conservateurs, et récemment encore, un homme qui a pourtant l’esprit libre et délié, M. Bouvier, se livrait à une sortie véhémente contre les conservateurs, qu’il accusait plaisamment d’être des révolutionnaires parce qu’ils refusaient de voter un budget où on a mis le déficit et d’où on a banni la clarté. M. Rouvier et les républicains comme lui n’ont pas vu que, par cette politique d’irréparable scission avec les conservateurs, ils se réduisaient eux-mêmes à l’impuissance et ils s’enchaînaient aux radicaux dont ils subissent aujourd’hui la loi, avec qui ils hésitent encore à rompre.

C’est fort bien, et, pendant ce temps, le radicalisme porte ses fruits. L’esprit de la commune se déploie en plein conseil municipal, où l’on se dispute devant M. le préfet de la Seine sur les honneurs à rendre aux incendiaires de Paris. L’instinct d’anarchie pénètre partout, jusque dans les élections des conseils de prud’hommes, où l’on n’est plus candidat qu’en déclarant la guerre au capital et aux patrons. De savans stratégistes publient des manuels indiquant l’usage de la dynamite dans la révolution sociale. Le radicalisme pratique prospère sous le consulat de M. Floquet ; les républicains dits de gouvernement ne savent qu’y faire, et on ne voit pas que, par un excès de misère, tous ces faits mêlés de violences et de faiblesses sont exploités, — au dedans contre le principe même des institutions libérales, au dehors contre la dignité et l’honneur de la France !

Ce n’est point, à ce qu’il paraît, le moment des grandes représentations ni même des grandes affaires en Europe. On n’en est plus provisoirement, et c’est encore heureux, à chercher avec anxiété le secret des voyages et des entrevues de souverains, des négociations destinées à former des ligues pour la guerre ou contre la guerre. Souve-