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sauvegarder, elle a quelquefois, en vérité, des airs presque plaisans. Lorsque le budget des cultes, que les radicaux du Palais-Bourbon attendent toujours avec impatience, est venu récemment devant la chambre, M. le garde des sceaux Ferrouillat s’est cru obligé de prendre sous sa protection les dotations religieuses. Il a tout défendu, les traitemens des évêques concordataires ou non concordataires, comme les modestes rétributions des desservans ; mais on ne devinerait pas quelle est la raison qui l’a décidé et dont il a fait d’ailleurs la confidence à la chambre ? C’est que c’était le meilleur moyen de se préparer à la grande réforme, à l’abolition du concordat, à la séparation de l’église et de l’état, que le ministère radical se propose plus que jamais de réaliser. Ce naïf M. Ferrouillat, qui a l’éloquence familière, n’est pas pour les coups de canif dans le ménage entre l’état et l’église ; un bon divorce, avec toutes ses conséquences, c’est son affaire ! Les petites suppressions de crédit sont, à ce qu’il assure, des coups de canif, des demi-mesures qui irritent, fomentent les divisions, et, dans sa candeur, il ne croit pas le moment bien choisi pour les agitations. Le divorce complet, c’est autre chose à ce qu’il paraît ; le divorce, qui ne peut manquer d’enflammer et d’étendre les luttes religieuses, c’est là le vrai moyen de ménager l’opinion, d’assurer la paix morale, — et surtout de rallier des suffrages à la république ! C’est ainsi, M. Ferrouillat l’a dit : il est vrai que du même coup M. Floquet et ses collègues se sont abstenus de voter pour le budget des cultes, — De telle sorte que ce ministère ébranle ou met en péril tout ce qu’il touche, la stabilité des lois et de la constitution par la revision, la paix religieuse par la menace de la séparation de l’église et de l’état, les finances par son impôt sur le revenu, l’ordre dans Paris par ses complicités avec tous les fauteurs d’anarchie qui peuplent le conseil municipal. Et si c’est ainsi que M. Floquet entend combattre M. le général Boulanger, il est étrangement dupe de sa fatuité radicale : il court tout simplement le risque de lui préparer de nouveaux succès, comme il a déjà contribué sans le vouloir, il y a quelque temps, à son élection dans trois départemens.

Que les radicaux se jettent à travers les affaires de la France avec l’imprévoyance de leurs passions et l’aveuglement de leur esprit de secte, ils sont dans leur rôle, c’était facile à pressentir le jour où la triste logique des choses les a conduits au pouvoir. Est-ce là ce que veulent les républicains qui se flattent encore d’avoir une autre idée du gouvernement, et entendent-ils contribuer, par la connivence de leurs faiblesses, comme M. Floquet par ses frivoles emportemens, à précipiter les réactions qui peuvent tout emporter ? Ce qu’il y a de plus singulier peut-être aujourd’hui, c’est l’espèce d’effacement de ces républicains devant le radicalisme dont ils ont préparé l’avènement