font, nous trouvons décidément les hommes bien ressemblans à eux-mêmes, le tour du monde bien monotone, et les voyages bien fatigans.
C’est la réflexion que nous faisions en feuilletant un fort beau volume, intitulé : les Grands Voyageurs[1]. Soyons effectivement de bon compte. J’ai là, sous les yeux, combien? dix, quinze, vingt volumes sur l’Afrique centrale, — on abuse aujourd’hui de l’Afrique centrale, — ou encore sur la Chine, qu’il semble en vérité que l’on connaisse moins à mesure qu’il en revient plus de voyageurs. Mais quiconque a lu la moitié de ces volumes, je vous demande ce que lui apprennent les autres? le profit qu’il en retire? ou le plaisir qu’il y peut prendre? Faites-en plutôt l’expérience. Grand ou petit, rien ne ressemble à un voyageur comme un autre voyageur, si ce n’est un voyage dans l’Afrique centrale à un autre voyage dans l’Afrique centrale. De dire maintenant comment cela se fait, je le pourrais ; mais ce n’en est pas aujourd’hui le temps, et, puisqu’il y a de nos jours mêmes quelques voyageurs plus originaux que d’autres, c’est de ceux-là seulement que je parlerai.
Tel est, par exemple, M. Charles Grad, dont le magnifique volume sur l’Alsace[2] ne saurait manquer d’être accueilli comme l’un des plus beaux qu’il y ait cette année. C’est que d’abord il y a de douloureuses raisons qui nous intéressent toujours passionnément à l’Alsace. C’est qu’en nous décrivant l’Alsace, en nous racontant son histoire, en nous promenant à travers ses villes et ses campagnes, en nous peignant ses mœurs, M. Charles Grad nous parle de ce qu’il connaît, de ce qu’il aime, de cette patrie plus étroite que chacun de nous a dans la grande. C’est encore qu’une vieille province ou une vieille ville, comme l’Alsace et comme Strasbourg, sont presque des personnes, de longues existences, continuées d’âge en âge, un monde entier de souvenirs et de traditions accumulés. C’est enfin que le voyageur ou le peintre s’efface, ne nous fait pas, à propos de l’Alsace, les honneurs de son amour-propre, nous parle enfin de nous et non pas de lui. Mais ai-je besoin d’en dire davantage? et ce livre n’est-il pas de ceux que peuvent suffire à recommander leur titre, le nom de leur auteur, et, nous ajouterons : celui de leur éditeur?
Je trouve un autre genre d’intérêt, très différent, mais à peine moins vif, dans le voyage de M. Gabriel Bonvalot : Du Caucase aux Indes à travers le Pamir[3], illustré de dessins et croquis originaux, par M. Albert Pépin. On sait que, partis de Marseille, ou plutôt de Tiflis, MM. Pépin, Capus et Bonvalot, après avoir traversé la Perse et l’Afghanistan, ont