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appréciative des arts et de la littérature, et par ces sentimens de patriotisme, ces axiomes généraux de moralité, qui témoignent du bien-être d’un peuple. » Est-ce que cette époque glorieuse remonte au déluge ou simplement aux Pharaons? Alors, il y a trop longtemps de cela.

Il semble au noble lord que les circonstances soient propices à une régénération de l’Égypte, et voici les bonnes raisons anglaises qu’il en donne. Le canal de Suez, qui joint les mers de l’Ouest à celles des Indes et de Chine, est désormais l’objet d’une générale sollicitude; les trop actives opérations d’une compagnie étrangère, — celle de M. de Lesseps, — qui allait disperser aux quatre vents le fragile empire auquel elle s’était incorporée, ont cessé ; les prétentions « risquées » de divers états d’exercer une tutelle irritante sur l’administration de l’Égypte se sont évanouies; et enfin le pouvoir qui, chacun le proclame, a le plus grand intérêt à la tranquillité de l’Égypte, ce pouvoir, — lisez l’Angleterre, — dont l’intégrité est évidente, se voit contraint par la force des choses de régler le fonctionnement du nouveau régime, setting up the machinery of the new régime.

Il est difficile de dénoncer avec une bonne foi plus audacieuse le rôle que l’Angleterre voulait jouer sur les bords du Nil, et quelle était la nation qui allait prendre la suite des « tutelles irritantes. »

En parlant de la Turquie, lord Dufferin regrette que le prestige de ses sujets soit plus grand que ne le voudrait un homme détaché des choses de ce monde « comme il l’est lui-même. » Il lui semble pourtant difficile de chasser d’Égypte ce qui reste des anciens Turcs conquérans, et même d’exclure des affaires les Arméniens, les Grecs, les Syriens, les Juifs. « Comprendrait-on, s’écrie-t-il, l’expulsion d’hommes tels que Nubar, Riaz, Tigrane, Chérif et une multitude d’autres? Pourquoi, alors, les Coptes ne demanderaient-ils pas le bannissement des Arabes qui les ont conquis et dominés ? » Il est certain, — et en ceci je suis d’accord avec le noble lord, — qu’il serait plus sage de considérer toute personne née en Égypte, — quelle que soit la nationalité de ses ancêtres, — apte à remplir des fonctions en rapport avec son mérite que de se préoccuper de sa caste et de sa race. Il ne faudrait pas rappeler que Méhémet-Ali et ses descendans ont fait eux-mêmes souche en Égypte pour qu’il s’y crée un gouvernement populaire, une justice impartiale, et qu’on y établisse des lois devant lesquelles les Égyptiens seraient égaux. « C’est d’autant plus nécessaire, ajoute avec force le lord législateur, que jamais les tribunaux indigènes n’ont été plus corrompus et plus imbéciles qu’au moment où il écrit.