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tenir désormais tout à fait en dehors des affaires d’Égypte. Elle voulait bénéficier seule d’une action que nous n’avions pas voulu partager. Chaque soldat transporté en Égypte lui avait coûté beaucoup d’argent, et ne fallait-il pas qu’elle rentrât dans ses déboursés d’une façon quelconque? M. Duclerc ne se rendit pas aisément à ces raisons, qui ressemblaient beaucoup à celles que le loup de La Fontaine donne à l’agneau quand il s’apprête à l’égorger. Il protesta donc avec une vive énergie. « l’ordre étant rétabli en Égypte, rien ne justifiait, disait-il, une interruption du contrôle. » Lord Granville, pour ne pas répondre, fit la sourde oreille. Parfois, cependant, il s’élevait avec énergie contre la crainte que nous avions de voir une occupation militaire trop prolongée finir en une annexion. Ce qui se passe y ressemble pourtant beaucoup, mais Dieu me garde de répéter encore avec un compatriote du noble lord : « Notre nation est honnête, mais nos diplomates manquent de probité politique ! »

Le contrôle fut remplacé par sir Edgar Vincent, dont les importantes attributions se trouvent fixées par un décret khédivial d’après un rapport du président du conseil au khédive. « j’estime, y disait-on, que cet Européen qui deviendrait fonctionnaire égyptien pourrait avoir le titre de conseiller financier. Il serait choisi et nommé par Votre Altesse, dont il relèverait directement. Sans avoir les attributions d’un ministre, il pourra assister aux séances du conseil toutes les fois qu’il y sera invité par le président. Il aura le pouvoir d’examiner les questions financières et d’émettre son avis sur elles dans les limites que Votre Altesse et ses ministres pourront déterminer; il n’aura toutefois aucun droit d’intervenir dans les affaires administratives du pays. » Voilà ce qu’en droit est sir Edgar Vincent ; en fait, c’est le véritable ministre des finances : il peut se dire autant que le président du conseil, car toutes les questions administratives aboutissent à une question de finances. Le contrôle de la caisse de la dette ne pouvant rien sur lui se réduit donc à rien, puisque ce contrôle ne constate que des faits acquis. Il faut qu’il se commette un acte bien scandaleux pour qu’une protestation se fasse entendre. Les hommes intègres qui en sont chargés pourraient peut-être avoir dans les affaires d’Égypte une action plus grande que celle dont ils se contentent aujourd’hui. A la fin du règne d’Ismaïl-Pacha, MM. de Blignières, que M. de Freycinet fit partir bien à contretemps d’Égypte, Baring, Bellaigue, Kremer et Bavarelli, y prenaient le plus vif intérêt. Pourquoi leurs successeurs s’en sont-ils détachés? Il fallait sans doute que l’Angleterre fût maîtresse d’agir à sa guise aux bords du Nil, qu’elle fût souveraine, — en dépit de ses hypocrites protestations, — aux