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espoir ce jour-là d’arriver au séjour des houris. L’ordre, paraît-il, avait été donné de ne pas se défendre. Seul, un régiment de noirs soudanais, qui n’en avait pas eu connaissance, se battit comme les Soudanais se battent, en désespéré. Ils infligèrent aux Anglais des pertes douloureuses.

Le commandant de la cavalerie indienne, mieux inspiré que le commandant de la flotte britannique, fit, aussitôt après cette affaire, 50 milles à franc étrier, pour entrer au Caire et préserver par sa présence cette ville de l’incendie et du pillage. Il y pénétra peu d’heures après le peu intéressant Arabi. Le gouverneur de la capitale, Ibrahim-bey-Fawzi, un nationaliste pourtant, auquel cet étonnant chef d’armée s’était rendu avant qu’on le lui demandât, le remit à un général anglais dont le nom devait mal sonner aux oreilles d’un prisonnier de guerre, le général... Lowe. Arabi fut condamné à mort, mais on ne le fusilla pas. On ne l’envoya même pas dans un lieu d’exil insalubre. Ne pouvant lui donner le paradis rêvé par les braves soldats du Soudan, on le déporta dans un paradis terrestre, c’est-à-dire dans la grande île de Ceylan, la merveille des merveilles.

Le parti nationaliste l’a accusé et l’accuse toujours d’avoir fait le jeu de la Sublime-Porte en se révoltant contre le khédive ; il lui reprocha de s’être vendu aux Anglais, ayant l’assurance qu’il aurait la vie sauve, et cela quand il lui était facile de les jeter à la mer à Port-Saïd, ou de les combattre, — sinon avec succès à Tel-el-Kébir, du moins avec quelque honneur pour lui et l’armée égyptienne. Il le déclara traître à ses soldats, traître à ses lieutenans, qu’il laissa pendre, traître à son pays et traître enfin à la jeune Égypte, qui, crédule, inexpérimentée, avait placé en lui, lui fils de fellah, toutes ses espérances.


IX. — RUPTURE OFFICIELLE DE LA FRANCE ET DE L’ANGLETERRE EN EGYPTE. LORD DUFFERIN.

Le khédive est rentré dans sa bonne ville du Caire, et, à sa suite, les ministres, les commissaires de la dette, une nuée de fonctionnaires, les fugitifs, tous ceux qui l’avaient accompagné. Et comme la capitale est restée paisible, que rien n’y semble changé, ils regardent quelque peu confus, ainsi que des enfans qu’une nocturne vision a épouvantés, l’objet de leur terreur. Les habitans ont toujours la même impassibilité et la belle indifférence qui les distinguent. Pourquoi ceux qui étaient chargés de la protection de leurs nationaux leur avaient-ils dit : « Fuyez ! si vous ne voulez pas être écharpés par les Arabes ! » Et ils avaient fui,