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n’était plus à redouter, un officier de l’escadre anglaise vint prier les marins des autres nationalités de se réembarquer. L’amiral Seymour déclarait qu’il disposait désormais d’un assez grand nombre d’hommes pour assurer la tranquillité dans Alexandrie. Il y avait longtemps qu’on s’en doutait. Ne lui fallait-il pas continuer, d’une façon, sans doute moins glorieuse, les traditions laissées par Nelson dans la baie voisine d’Aboukir? Il n’hésita pas à les faire revivre à sa manière. Peut-être ne fit-il qu’obéir à des ordres venus de Londres. Alors il faut plaindre l’officier de valeur qui dut les exécuter et livrer à la réprobation de l’opinion publique la puissance qui les donna.

Arabi avait ordonné à ses troupes de se retirer sur Kafr-Dawar, un tout petit village, proche de la station du chemin de fer de ce nom, et qui n’est qu’à 20 kilomètres environ d’Alexandrie. Le beau lac Mareotis, placé entre cette dernière ville et Kafr-Dawar, inonde à l’est toute la plaine. C’est seulement par l’étroite langue de terre qui sert au passage des trains du chemin de fer qu’on peut s’approcher du village. Il est, comme toutes les autres petites localités du Delta, bâti avec le limon du Nil, et l’on n’y découvre aucune construction européenne. La position étant excellente, Arabi y fit élever des redoutes et creuser des fossés que l’on aperçoit encore des fenêtres des wagons ; il en confia la garde à 15,000 hommes d’infanterie, appuyés par 80 canons Krupp et 5,000 Bédouins irréguliers. Dans la crainte que les Anglais n’arrivassent au Caire en le tournant par Ismaïla et Tel-el-Kébir, il fit élever sur ce second point des redoutes et plusieurs batteries dont il confia la garde à 8,000 hommes que devaient rejoindre les garnisons de Damiette, d’Aboukir et de Rosette. On m’a affirmé qu’il avait assemblé 5,000 Bédouins pour combler le canal sur un point quelconque de son étendue. M. de Lesseps lui persuada trop aisément que, s’il commettait un pareil acte, toute l’Europe se tournerait contre lui. Arabi n’abandonna tout à fait son projet qu’à la fin du mois de juillet, quand M. de Lesseps lui télégraphia « que jamais un soldat anglais ne débarquerait entre Suez et Port-Saïd. » Le bon billet qu’avait le colonel ! Toute l’armée anglaise y passa. On sait quelle fut la reconnaissance que M. de Lesseps retira de sa dépêche : la menace d’un canal rival. Le khédive ayant donné l’ordre à Arabi de venir s’entendre avec son ministère pour un arrangement amical avec l’amiral Seymour, Arabi refusa d’obéir, ce qui lui valut sa destitution de ministre de la guerre. Il était vraiment temps! Un conseil auquel prirent part, au Caire, tout ce que la capitale possédait de notabilités, fut tenu ; il y fut décidé de continuer la défense, d’envoyer à Alexandrie une commission de six