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que le bombardement serait dirigé contre les fortifications, et qu’il n’y avait aucune raison de craindre la destruction des propriétés. Les événemens qui suivirent lui donnèrent un cruel démenti. Le 10 juillet, il notifiait au commandant militaire d’Alexandrie qu’ayant appris que des préparatifs hostiles à son escadre avaient été continués sur les remparts, il ouvrirait le feu le lendemain, au lever du soleil, à moins qu’on ne lui livrât avant ce terme les batteries élevées sur l’isthme de Ras-el-tin et sur le côté sud de la rade.

Cet ultimatum, porté devant le conseil des ministres que présidait le khédive, motiva la réponse suivante. Elle fut évidemment inspirée par le parti militaire national, mais elle honore ceux qui la rédigèrent comme aussi ceux qui consentirent à y mettre leur signature même contre leur gré : « l’Egypte n’a rien fait qui ait pu justifier l’envoi des flottes combinées. L’autorité civile et militaire n’a à se reprocher aucun acte autorisant les réclamations de l’amiral. Sauf quelques réparations urgentes aux anciennes constructions, les forts sont, à cette heure, dans l’état où ils se trouvaient à l’arrivée des flottes. Nous sommes ici chez nous, et nous avons le droit et le devoir de nous y prémunir contre tout ennemi qui prendrait l’initiative d’une rupture de l’état de paix, lequel, selon le gouvernement anglais, n’a pas cessé d’exister.

« L’Egypte, gardienne de ses droits et de son honneur, ne peut rendre aucun fort ni aucun canon sans y être contrainte par le sort des armes. Elle proteste contre votre déclaration de ce jour, et tiendra responsable de toutes les conséquences directes et indirectes qui pourront résulter d’une attaque des flottes ou d’un bombardement la nation qui, en pleine paix, aura lancé le premier boulet sur la paisible ville d’Alexandrie, au mépris du droit des gens et des lois de la guerre. »

De son côté, la Sublime-Porte ayant déclaré que, si la ville était bombardée, un crime de cette nature porterait atteinte aux droits de souveraineté du sultan et aux intérêts du pays, le comte de Granville crut devoir expédier, le 10 juillet, à tous les cabinets, une dépêche dans laquelle il disait « que, l’action de l’amiral étant devenue nécessaire, elle serait restreinte dans les limites proprement dites de la défense légitime sans aucune arrière-pensée. »


VIII. — BOMBARDEMENT ET DESTRUCTION D’ALEXANDRIE. — L’AFFAIRE DE TEL-EL-KÉBIK.

Quand, le 11 juillet, le jour se levait à peine, on put voir avec étonnement, de terre, que l’escadre française disparaissait à l’horizon,