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circonstances qu’un certain colonel Aly-Bey, accusé d’avoir signé une protestation contre le ministre de la guerre, après s’être cependant muni de l’autorisation du souverain, fut mis au cachot. C’était imprudent en ces temps troublés de toucher à l’armée! Celle-ci murmure, délivre le captif, exige la démission du ministre Riaz, et demande un chef pour le placer à sa tête. Le colonel Ahmed-Bey-Arabi se présente, et devient la personnification de la nationalité purement égyptienne.

Je ne referai pas le portrait d’Arabi : il a été trop fortement peint ici même par l’un de nos plus regrettés et plus éminens collaborateurs pour qu’il me soit possible de le refaire.

Le 4 janvier 1882, plutôt par la crainte qu’il inspirait qu’en raison de ses talens militaires, Arabi est nommé sous-secrétaire d’état au ministère de la guerre ; un mois plus tard, il est fait ministre au même département ainsi qu’à la marine. Il a tout dans la main : les forces du pays, l’appui moral de la Porte, qui le décore avec ostentation ; de plus, il semble avéré qu’il ait eu l’approbation des agens français. Pour mettre le pays tout à fait en son pouvoir, un décret, en date du 7 février 1882, reconstitue la chambre des délégués convoquée pour le même jour. Ces députés sont élus pour cinq ans; ils reçoivent une indemnité annuelle de 100 livres égyptiennes. Ils sont inviolables, et les ministres sont responsables devant eux de leur bonne ou mauvaise gestion. Ils peuvent tout discuter, parler sur toute chose, sauf du tribut qui est dû à la Sublime-Porte, du service de la dette publique, comme de toute charge relative à la dette résultant de la loi de liquidation ; la même réserve leur est imposée au sujet des conventions passées entre les puissances étrangères et le gouvernement égyptien.

C’est dans cette chambre des délégués que se concentrèrent les forces du parti national dont, comme je l’ai dit, Arabi était la personnification. Voulait-il, ce parti, détrôner le nouveau khédive pour le remplacer par un homme de son choix ? On le pensait sans oser le dire. L’inquiétude était extrême, et, chose extraordinaire, rien ne faisait prévoir les terribles journées qui se préparaient. Le khédive, loin de sévir contre les chefs de l’armée et même contre les soldats déjà en révolte, ne parlait que de clémence. Dans les mosquées, les ulémas proclamaient Arabi le défenseur de l’islam, quand dans les réunions populaires on le désignait comme un vengeur. On lui demandait tout haut l’expulsion des étrangers et tout bas leur extermination. L’Angleterre et la France avaient bien envoyé leurs escadres pour donner un appui moral au jeune souverain ; mais au lieu d’agir vigoureusement dès les premiers symptômes de trouble, elles restèrent en rade d’Alexandrie dans une expectative