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ministère fondé sur l’appui d’une puissance étrangère, ou sur l’influence personnelle d’un agent diplomatique, ne saurait être utile ni au pays qu’il administre, ni à ceux dans l’intérêt desquels il est censé être maintenu au pouvoir… Il semblerait à peine nécessaire de m’étendre sur notre désir de maintenir l’Égypte dans la jouissance et la mesure d’indépendance administrative qui lui a été garantie par le sultan… Le gouvernement anglais agirait à l’encontre des plus chères traditions de son histoire nationale s’il avait le désir de diminuer cette liberté. Le lien qui unit l’Égypte à la Porte est une importante sauvegarde contre une intervention étrangère… Si ce lien venait à se rompre, l’Égypte pourrait, dans un avenir rapproché, se trouver exposée elle-même au danger d’ambitions rivales… La seule circonstance qui pourrait nous forcer à nous écarter de la ligne de conduite que je viens d’indiquer serait l’éventualité d’un état d’anarchie en Égypte… Nous avons tout lieu de croire que le gouvernement français continuera à être, comme par le passé, animé des mêmes sentimens… Il a été facile pour Les deux pays, agissant de concert, avec des vues identiques et sans aucun caractère égoïste, d’aider matériellement à améliorer la condition financière et politique de l’Égypte, et, tant que le bien de ce pays sera le seul but visé, il ne saurait y avoir de difficulté à le poursuivre avec le même succès… Toute intention de la part de l’un des deux gouvernemens d’agrandir son influence suffirait à détruire cette utile coopération… »

Une des victimes les plus pures de la politique anglaise ne pensait pas différemment[1].

Les idées libérales contenues dans cette dépêche, dépêche destinée à la publicité, sont en flagrante contradiction avec ce qui se passe en Égypte depuis la chute d’Ismaïl. Il y a beau temps que l’indépendance administrative est un fait acquis, et que, l’anarchie n’existant pas, puisqu’elle a été foudroyée à Alexandrie, l’occupation du pays par une seule puissance devrait être finie.

Comme pour donner au parti national sa raison d’être, certains personnages égyptiens, persuadés qu’ils n’avaient rien à craindre du fils d’Ismaïl-Pacha, adoptèrent une politique autoritaire qui devait conduire à une insurrection. Le fellah, accablé de vexations, était jeté en prison sous le prétexte le plus futile ; le Fazoglou et le Nil-Blanc voyaient arriver des cargaisons d’exilés dont les seuls crimes avaient été de déplaire aux puissans du jour. C’est dans ces

  1. « Quant à l’Égypte, nous avons beau faire, nous n’arriverons jamais tout seuls à la gouverner et à payer les intérêts de la dette : il faudrait s’assurer la coopération de la France… » (Journal de Gordon, page 119.)