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de planteur en délicatesse sur des questions d’engrais avec d’autres planteurs, car, malgré ses fonctions de président du conseil et de ministre des affaires étrangères, Nubar-Pacha ne dédaignait pas de surveiller ses fermes, de compter, le mètre en main, l’étendue d’un canal, de mesurer le débit d’eau d’une de ses pompes à irrigation, et de veiller à ce qu’un sillon trop largement ensemencé ne dégénérât en pléthore agronomique.

Nubar-Pacha voulait encore avoir le droit de choisir lui-même, aux lieu et place des gouvernemens européens, les fonctionnaires dont à certains momens l’Égypte a besoin pour ses tribunaux et ses finances. Rien ne paraît plus juste à première vue, mais l’Égypte n’est pas dans des conditions à jouir d’une telle faculté. Ses dettes sont trop fortes, son avenir est trop peu assuré pour lui donner toute la liberté qu’on lui souhaite du fond du cœur. La justice des hautes cours en Égypte est actuellement très bien rendue, et pas un odieux soupçon ne l’effleure; en serait-il ainsi si les nominations des magistrats étaient faites par un ministre égyptien et d’après son choix personnel? Tous les jours il y a des procès entre le gouvernement khédivial et les particuliers. Que ceux-ci se sentent trop lésés dans leurs intérêts, et ils auront raison, sinon le droit, de dire qu’ils n’ont pas été jugés avec une impartialité désirable, et qu’un ministre qui paie des fonctionnaires avec l’habituelle largesse du trésor égyptien peut en espérer des services et non des arrêts.

L’ex-président du conseil a eu une trop longue carrière administrative pour ne pas s’être fait un grand nombre d’ennemis, et sa fortune, à tous les points de vue, a été trop rapide pour ne pas lui avoir créé des envieux et suscité des calomniateurs. Je n’ai point à m’en faire l’écho. Il a le bonheur d’habiter une terre où les divinités égyptiennes mettent dans une balance très juste les actions bonnes et mauvaises de ceux qui, après leur mort, se présentent à elles. C’est là, devant le tribunal où siège le grand-juge Osiris-Khent-Ament, entouré des quarante-deux membres du jury infernal, que je l’attends, et avec le désir que cela soit le plus tard possible.

Actuellement, quoiqu’il ait cessé de prendre part aux affaires d’Égypte, il ne faut pas oublier qu’il a réformé les tribunaux dans des temps difficiles, qu’il s’est souvent opposé à ce que les Anglais s’étendissent sur l’Égypte comme le Nil, non pour la féconder, mais pour l’épuiser, et enfin qu’il a doté la capitale de fontaines qui procurent aux habitans une eau excellente, et à lui des revenus bien acquis. À ces divers titres, il aura droit, s’il est reconnu coupable par le grand juge, à des circonstances atténuantes.