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quoi et de n’importe qui, Nubar-Pacha exécuta une charge à fond contre l’Europe en général, et la France plus particulièrement. J’en fus tellement surpris que je restai huit jours sans avoir le moindre désir de m’exposer à un nouveau coup de boutoir. Je ne le revis que sur une nouvelle invitation, et lorsqu’il m’eut expliqué les causes de son inqualifiable emportement. Il m’avait pris pour un fonctionnaire nouvellement débarqué. Les raisons qu’il me donna de son animosité contre quiconque tient un emploi en Égypte n’étaient pas acceptables : imperturbablement il mettait sur le compté de la France ce qui était à la charge d’autres nations ; il ne voulait pas convenir que le nombre des employés français était en décroissance depuis 1882, lorsque, ma preuve à la main, je lui montrais qu’il en était tout le contraire de nos rivaux. Il n’a jamais eu qu’une politique, m’a-t-on dit, et c’est la sienne. Pour la faire prévaloir, il a prêché avec une égale conviction, — et qui sait ? peut-être avec la même bonne foi, et le vrai et l’invraisemblable. Il est du nombre de ces personnes qui, ayant inventé une plaisante histoire, finissent par la croire réelle. C’est ainsi, je le répète, qu’il m’a soutenu que les Français avaient tout envahi, et qu’avec une telle affluence de mes compatriotes, il était impossible au khédive, et à lui également, de gouverner. On a vu, par l’état des fonctionnaires que je viens de donner, combien est erronée cette assertion, puisque, sur 1,602 fonctionnaires 319 seulement sont Français, 511 Italiens, et 427 Anglais. Cette liste sous les yeux, liste qui émanait du ministère des finances, Nubar ne cédait pas. Il prétendait avoir besoin de l’occupation étrangère pour contrecarrer notre influence : « Tant qu’il y aura, me disait-il, un si grand nombre d’Européens dans les administrations, il me faudra l’armée anglaise pour faire contrepoids. Qu’il n’y ait que des fonctionnaires égyptiens en Égypte, que l’Égypto reprenne le droit de se gouverner par ses propres lois, et aussitôt l’occupation, étrangère cessera. « Or personne au monde ne sait mieux ceci que Nubar-Pacha, c’est que les indigènes susceptibles d’un travail suivi, sérieux, sont introuvables, qu’il leur faudrait des aptitudes morales et physiques qui leur manquent. L’Égyptien peut dans sa jeunesse faire supposer qu’il deviendra, sinon un personnage, du moins un homme de grande utilité ; mais, comme ces produits de la terre dont la culture est trop hâtive, if s’étiole, devient indolent, malingre, endormi, et son intelligence décroît en avançant vers l’âge mûr. Il y a eu, il y a des exceptions, certes, mais on les compte.

Nubar-Pacha accuse libéralement les Européens de tous les maux qui affligent l’agriculture et les agriculteurs. Il n’y a là qu’une boutade