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à fond les rouages de nos machines gouvernementales, et un rêve qu’il eût aimé à réaliser eût été celui de les voir fonctionner sur les bords du Nil. En assistant aux débats, aux scènes de pugilat de nos chambres, en entendant les invectives qui s’y échangent entre personnes que l’on croirait mal élevées, son opinion se fût modifiée ; mais même ce qui afflige les cœurs patriotes de la France d’aujourd’hui ne peut se comparer à la situation déplorable dans laquelle était l’Égypte il y a dix ans et moins.

Il avait un véritable culte pour celui qui fut le premier vice-roi d’Égypte, Méhémet-Ali, culte aussi passionné que celui des soldats de la vieille garde pour leur glorieux empereur. Il le reporta sans arrière-pensée sur les descendans du réformateur. Plein de déférence pour ses héritiers, il n’en garda pas moins son indépendance. Ce qui l’a distingué de ses collègues, c’est l’habileté avec laquelle, tout en se servant des étrangers, il évitait l’ingérence exclusive d’une puissance européenne dans les affaires. Elle l’eût courbé sous une vassalité dont il n’eût jamais voulu supporter l’abjection.

Lorsqu’il mourut en avril 1887, les Égyptiens, ceux du moins dignes de ce nom, songèrent à se grouper autour de Riaz-Pacha.

Sans être le chef du parti des mécontens et de ce qui reste debout d’un parti national dont je parlerai, son excellence Riaz ne le personnifie pas moins, à ce qu’on m’assure. Lui aussi ressent une secrète répulsion pour toute personne qui n’est pas née à Stamboul ou au Caire, et cette répulsion a toutes les peines du monde à ne pas se faire jour sous les dehors d’une exquise politesse. Mais ce qui est incompréhensible en lui, c’est qu’il trouve, ainsi que le khédive, — que la conduite des Anglais est des plus correctes. — Nous verrons bien s’il ne change pas d’opinion, lorsque, comme Nubar-Pacha, il aura à se défendre tous les jours contre leurs exigences. Il affirme également que les Anglais eussent quitté l’Égypte aussitôt après la débandade de Tel-el-Kébir, si les événemens du Soudan ne les en eussent empêchés. Il y a beau temps cependant qu’il n’y a plus de Soudan, que Khartoum est tombé aux mains des Soudanais, et que Gordon, un héros, est mort victime de son devoir[1].

Dès que je fus au Caire, et toutes les fois qu’il fut question de Riaz-Pacha en ma présence, on m’assura que ce patriote n’accepterait pas de fonctions publiques tant qu’il y aurait un soldat anglais en Égypte. Tout dernièrement, il a cependant succédé à Nubar-Pacha. Ce n’est pas qu’il haïsse beaucoup les Anglais, mais probablement

  1. Je resterai à Khartoum, quoiqu’il arrive, pour partager les périls de la garnison et des habitans, et mourir s’il le faut... » (Journal de Gordon, page 270)