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ni les frais de transport des membres de la famille royale dans leurs nombreux voyages, ni l’entretien de leurs maisons civile et militaire, non plus que celui des palais et jardins de Kensington, d’Hampton-Court, de Hyde-Park, de Richmond, de East-Sheen Cottage, de Saint-George-Chapel, de Windsor, de Frogmore-House, des parcs royaux de Battersea, Greenwich, Victoria, des résidences des parens de la reine.

La dynastie de Hanovre a coûté à l’Angleterre plus de 4 milliards 200 millions. En revanche, elle lui a donné cent soixante-quatorze années d’une stabilité que n’a connue aucune nation. Pendant plus d’un siècle et demi à l’abri des révolutions dynastiques et des bouleversemens politiques, libre d’évoluer dans le sens de ses intérêts et de ne consulter qu’eux, l’Angleterre, entre les deux grands partis qui se disputaient le pouvoir sans convoiter l’empire, a oscillé de l’un à l’autre, passant des whigs aux tories et des tories aux whigs, suivant les nécessités de sa situation intérieure et les exigences de sa politique extérieure. Disciplinés par un long apprentissage de la vie parlementaire, tous deux en possession d’un personnel gouvernemental éprouvé et constamment renouvelé, ils ont tour à tour gouverné sous l’impassible égide d’une royauté impuissante à les maintenir aussi bien qu’à les écarter, nominalement sans préférence, reflet mobile d’une opinion changeante. Prémunie contre toute atteinte violente à la forme même des institutions, ne les modifiant qu’avec une sage lenteur et à bon escient, répugnant aux coups de hache qui, ébranlant l’édifice, en précipitent la ruine, l’Angleterre a grandi, prospéré et s’est enrichie. A son évolution politique correspondait une évolution industrielle ; la première fut la conséquence logique de la seconde ; l’une lui donna la sécurité avec la liberté, l’autre la prééminence commerciale.

Elle a récolté ce qu’elle a semé. Son étonnante et plus que séculaire prospérité atteste le sens pratique de la nation. Mais conquérir la fortune n’est pas et ne saurait être le dernier mot d’une race. La fortune n’est pas un but, mais un instrument, elle vaut par l’usage que l’on en fait. L’étude des grandes fortunes du pays le plus riche du monde met en relief cette vérité banale, mais que l’on ne saurait trop répéter en un temps où l’opulence semble malheureusement à trop d’impatiens le but unique, tangible et réel des facultés humaines : que la patience, la persévérance, la probité et le travail obstiné seuls peuvent la conquérir et la conserver; qu’elle n’est pas un don gratuit du hasard ; qu’elle coûte autant qu’elle vaut, et qu’à lui demander le bonheur, qui n’est pas en elle, la satisfaction du cœur et de l’esprit, qu’elle ne saurait donner ni payer, l’homme perdrait et ses peines et son temps.


C. DE VARIGNY.