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tard son poète lauréat : l’Angleterre se gouverne elle-même ; au fond tout est modifié, en apparence rien n’est changé. La révolution s’est faite sans que l’on ait brisé, détruit ou remplacé un seul des rouages du mécanisme. Ils subsistent intacts, le traditionnel respect les a maintenus, mais les nécessités modernes en ont altéré le fonctionnement; elles ont imprimé à la machine entière une impulsion autre : cependant la machine dure et le temps l’a consacrée. Pas n’était besoin de la mettre en pièces et d’en construire une nouvelle. En jetant bas un vieux palais pour en édifier un plus moderne, ce ne sont pas seulement des pans de murs que l’on renverse, c’est aussi les traditions, les souvenirs, le passé, cette page seule immuable et certaine de l’histoire des peuples, ce legs des pères aux enfans.

L’antique façade de la monarchie anglaise reste debout, avec sa décoration surannée, son cérémonial, son étiquette vieillie, mais respectée. Ce n’est plus qu’un emblème, un mausolée où dort ce qui a cessé d’être, autour duquel reine, princes et princesses d’origine étrangère, dans les veines desquels on aurait peine à retrouver une goutte de sang anglais, veillent pieusement, sans songer à ressusciter ce qui ne saurait revivre. La chambre des lords, avec ses législateurs héréditaires, n’est plus qu’une cour suprême; la chambre des communes détient le pouvoir et l’exerce, prodigue de respects et d’argent pour les hôtes dont l’Angleterre a fait ses souverains et qui occupent un trône qu’il y eût eu péril à laisser vide.

A tout prendre, elle fut heureuse dans son choix, et si la dynastie de Hanovre, importée en 1714, s’est acquittée sans trop de résistances du rôle qu’on lui imposait, si elle lui a épargné, par le fait de son origine étrangère et l’absence de toutes traditions antérieures, une révolution violente et les calamités qui en résultent, l’Angleterre s’est montrée reconnaissante des services rendus, et les a généreusement rémunérés. Les deux premiers George, besoigneux, mais encore imbus des principes d’économie allemande, ont comparativement peu coûté à leurs sujets. Incertains de l’avenir, toujours prêts à faire leurs paquets pour retourner en Hanovre, ils s’estimaient largement payés avec une liste civile, modeste pour l’Angleterre, prodigieuse à leurs yeux. George III, et George IV surtout, marchèrent d’une autre allure. De 1760 à 1830, le total des sommes dépensées par eux et pour eux s’élève à 2 milliards et demi, soit un peu plus de 35 millions par an, somme énorme pour l’époque et qui faisait d’eux les princes les mieux rentes de l’Europe. Même largesse quant aux titres, et à chacun d’eux correspondait un revenu particulier. George IV, héritier du trône, n’était pas seulement prince de la Grande-Bretagne et prince