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insistant seulement pour que l’on ménageât la transition, convaincu qu’une émancipation soudaine serait aussi désastreuse pour les esclaves, qui cesseraient de travailler, que pour les maîtres, qui cesseraient de les nourrir, et qu’aux uns comme aux autres, le gouvernement devait indemnité et secours. La thèse qu’il soutenait consciencieusement était d’ailleurs d’accord avec les vues des abolitionnistes sensés ; sur ce terrain, une entente était possible ; elle se fit.

Cette période d’agitation fut pour lui la plus difficile à traverser. Ses succès commerciaux, sa fortune rapide, lui avaient suscité de nombreux ennemis, qui ne se firent pas faute de le représenter comme l’un des plus déterminés partisans de l’esclavage, comme un homme qui lui était redevable de son opulence et exploitait sans merci des milliers de nègres victimes de sa cupidité. Lord Howick, mal renseigné, le mit même publiquement en cause lors du débat engagé dans la chambre des communes, et cita son nom comme l’un de ceux dont le traitement inhumain des noirs était une honte pour l’Angleterre. Mais lord Howick eut affaire à forte partie. Le nouvel élu de Newark, William-Ewart Gladstone, venait d’entrer à la chambre, et son premier discours fut une éloquente et habile réfutation des attaques dirigées contre son père, attaques dont une enquête parlementaire devait démontrer plus tard l’inanité.

Le bill d’émancipation fut voté et une indemnité de 20 millions de livres (500 millions de francs) allouée aux planteurs. John Gladstone en reçut sa part, et, confiant dans l’avenir de Liverpool, où la suppression de la traite provoquait une baisse considérable sur les terrains, il en acheta. En peu d’années, ils triplaient de valeur; il se porta aussi acquéreur de plusieurs bénéfices ecclésiastiques dont la propriété est encore aujourd’hui aux mains de son fils. Très lié avec George Canning, dont il admirait l’éloquence et avait prévu la grandeur, il le décida à se présenter comme candidat au parlement pour la ville de Liverpool, et Canning étant hors d’état de pourvoir aux frais de son élection, il les prit à sa charge. Grâce au concours actif et à l’influence de John Gladstone, Canning fut élu, et, arrivé au pouvoir, n’oublia jamais le service qu’il en avait reçu au début de sa carrière politique.

Puissamment riche, ami intime de Canning devenu premier ministre en 1826, John Gladstone, candidat au parlement pour le bourg de Woodstock, avait été élu avec le concours du duc de Marlborough. Il siégea neuf années, assez longtemps pour voir son fils devenir son collègue et prendre place à ses côtés. Il assistait à cette séance où William-Ewart Gladstone prit la parole pour réfuter les accusations de lord Howick et pour repousser les soupçons injurieux