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d’autres fils pour n’être pas embarrassé de remplacer John à Leith. En 1784, ce dernier se fixait à Liverpool en qualité d’employé de Corrie et Cie.

Le port de la Mersey commençait à prendre de l’importance. De 1700 à 1750, il s’était enrichi par le commerce des tabacs, et sa population s’élevait, pendant cette première période de prospérité, de 5,000 âmes à 18,500. De 1750 à 1807, Liverpool fut le port principal d’armement des navires négriers, et cette triste industrie atteignait son apogée au moment où John Gladstone débutait dans les affaires. Dès 1709, un premier navire armé pour la traite avait réalisé des profits tels, qu’en 1753 on n’en comptait pas moins de 88 affectés à ce trafic de chair humaine. De 1795 à 1804, les armateurs de Liverpool transportèrent 323,770 esclaves des côtes d’Afrique en Amérique et aux Antilles. Liverpool vivait de ce commerce lucratif, au maintien duquel semblait étroitement liée l’existence de la ville. John Gladstone s’y livra comme les autres, calmant les scrupules de sa conscience par l’argument constamment répété que, sans l’esclavage, le défrichement de l’Amérique et la mise en valeur des plantations de sucre, de café et de coton devenaient impossibles, et qu’à tout prendre, les nègres esclaves étaient moins à plaindre que les nègres libres, décimés par la famine et des guerres perpétuelles.

Aussi les prédications de Clarkson, de Roscoe et de Wilberforce réclamant, au nom de l’humanité, la suppression de ce trafic inhumain, eurent-elles peu d’écho à Liverpool. John Gladstone fut un des plus ardens adversaires des abolitionnistes. En peu d’années, il avait justifié les prévisions de M. Corrie, et ce dernier, appréciant les importans services que ce jeune homme rendait à sa maison, se l’était définitivement attaché en le prenant comme associé. Dès le début, il se montra digne de ce choix. La récolte des céréales avait manqué en Europe ; la maison Corrie entrevit la possibilité de réaliser d’énormes bénéfices en important des blés d’Amérique. John Gladstone fut chargé de cette opération, et partit pour New-York nanti de crédits considérables destinés aux achats. Vingt-quatre navires devaient le suivre à court intervalle et ramener les céréales en Europe. À cette époque, les communications avec le Nouveau-Monde étaient lentes et rares ; on opérait au hasard, sur des données vagues, sur des estimations incertaines. Lorsque, après quarante jours de traversée, John Gladstone débarqua en Amérique, il apprit que la récolte, qui s’annonçait bonne au printemps, n’était pas meilleure qu’en Europe, que le blé suffisait à peine aux besoins de la consommation locale, ainsi qu’aux semailles d’automne, et qu’il ne trouverait même pas à charger un navire.