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le commerce anglais ne s’enorgueillirait pas de ses vieilles familles dans lesquelles on est resté négociant de père en fils? Ailleurs, on s’en fait un titre d’honneur. Pourquoi n’en est-il pas de même chez nous? C’est un sujet de tristesse et même de scandale de voir des négocians enrichis rougir de leur commerce et renier la source de leur fortune. Mon frère ni moi ne le ferons jamais. Ses fils marchent sur ses traces, et je suis fier de dire que mon fils est négociant, comme l’était mon père et comme l’est encore mon frère. »

il disait vrai et avait raison d’être reconnaissant. Sans le travail persistant des six générations qui l’avaient précédé, sans la grande fortune conquise par son père, le châtelain d’Hawarden n’eût pas été le candidat du duc de Newcastle, le représentant de Newark au parlement ; un autre nom que le sien eût probablement figuré dans les fastes britanniques, et l’intelligence remarquable mise au service de la chose publique se serait dépensée à conquérir au soleil la place que son père lui avait faite, après avoir inscrit lui-même le nom des Gladstone au livre d’or du commerce de Liverpool.

L’ancêtre de la famille paraît avoir été un William Gladstone, petit brasseur de Biggar, qui mourut en 1728, laissant trois fils et une fille. Contrairement à certaine famille irlandaise dont le descendant affirmait gravement qu’il était héréditaire chez eux de n’avoir point d’enfans, la race des Gladstone fut prolifique. L’un des fils de ce William Gladstone laissa onze enfans ; Thomas Gladstone, le grand-père de l’homme d’état, en eut seize, dont douze lui survécurent. Il fit mieux encore ; il réussit à force de travail à les pourvoir tous d’un modeste pécule et à aider leurs débuts dans la vie. John, son fils aîné, et le père du Grand old Man, devait porter haut sa fortune et celle de sa famille, et assurer à son fils cette large indépendance si nécessaire à l’homme appelé à diriger les affaires publiques d’un grand état.

John Gladstone, le père du ministre, naquit à Leith en 1763, reçut une éducation aussi complète que le comportaient les idées du temps et la position de son père, et entra dans ses bureaux. Thomas Gladstone s’occupait alors du commerce des grains. Un navire chargé de blé d’Amérique et dirigé sur Liverpool lui était consigné par un de ses correspondans. John reçut de son père mission de se rendre à Liverpool et d’effectuer au mieux la vente de ce chargement. Il négocia cette transaction avec la maison Corrie et Cie, l’une des plus importantes de Liverpool, et le chef de cette maison, frappé de l’intelligence et du savoir-faire du jeune homme, écrivit à Thomas Gladstone pour lui suggérer de laisser son fils auprès de lui. La proposition était trop avantageuse, elle souriait trop à John Gladstone pour être refusée. Puis Thomas Gladstone avait assez