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Halifax. Dans cette petite ville où chacun se connaissait et se rencontrait, il n’avait pas tardé à remarquer l’accorte jeune fille, vive et souriante, et il s’était épris d’elle. John Crossley, semble-t-il, parlait peu, mais clairement. « Je me trouvais un soir sur le seuil de notre porte, écrit Martha Turner, quand un jeune homme que j’avais eu fréquemment l’occasion de trouver sur mon chemin, mais qui ne m’avait jamais parlé, vint à moi et me demanda si je voulais de lui pour amoureux. — Non, certes, répondis-je. Je n’ai que faire d’un amoureux ; et, lui fermant la porte au nez, je rentrai dans la maison. Depuis, je le revis maintes fois, mais pendant des années nous n’échangeâmes pas un mot. Il s’appelait John Crossley. Quand miss Oldfield sut qu’il désirait m’épouser, elle m’en dissuada fort. Elle me raconta que, dans sa jeunesse, elle avait été en pension chez une Mme Crossley, dont le mari, Tom Crossley, le grand-père de celui qui me recherchait, était le plus mauvais sujet qu’elle eût connu. Plus tard, je reçus de John Crossley une lettre d’amour dans laquelle il me suppliait de l’épouser. Cette lettre, je la relus souvent, car je la sais encore par cœur et pourrais la redire sans en omettre un mot. J’avais alors d’autres amoureux, mais aucun aussi persévérant que John. Un autre jour enfin, je reçus de lui une seconde lettre : il m’y disait avoir visité une petite maison à louer près de sa fabrique. Elle nous conviendrait parfaitement, et nous ne saurions, ajoutait-il, rencontrer une meilleure occasion. Il me donnait l’adresse et me demandait de la voir. « 

Martha Turner lui répondit que, le 5 novembre, elle devait aller passer la journée chez son père et qu’en s’y rendant elle visiterait la maison. Elle y fut, trouva probablement l’occasion excellente, son amoureux à son gré, et, touchée de sa constance, elle demanda à. son père de consentir à ce mariage. Après quelques objections, il l’autorisa, et Martha de rentrer toute joyeuse. « Mais le lendemain, écrit-elle, ma sœur vint me voir chez miss Oldfield et m’intimer l’ordre, de la part de mon père, de renoncer à cette union. Ma sœur partie, je m’enfermai dans ma petite chambre, le cœur bien gros. Avant de m’endormir, j’ouvris ma Bible pour y faire ma lecture du soir, et mes yeux tombèrent sur ce passage : « Quand ton père et ta mère t’abandonneraient, le Seigneur prendra soin de toi. » Je me sentis réconfortée, ne doutant plus que Dieu ne fût avec moi et ne m’indiquât lui-même ce que j’avais à faire. J’acceptai John Crossley, et, le 28 janvier 1800, nous fûmes unis, avec l’assentiment de mes parens, touchés de sa longue constance. »

John Crossley ne tenait pas de son grand-père, si tant est que ce dernier fût aussi mauvais sujet que le prétendait miss Oldfield. Les vieilles filles anglaises, — et le nombre en